Le principe, issu de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l’Etat, selon lequel « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », n’en finit pas de nourrir la polémique et, par voie de conséquence, l’activité du juge administratif.
Du débat sur le port du burkini sur les plages et du voile, qu’il soit intégral (burqa, niqab …) ou non sur l’espace public, à celui de la présence à Noël des crèches dans les halls de mairies ou de conseils départementaux, les échanges d’invectives, entre partisans d’une laïcité dure, d’une part, et les tenants de la tolérance voire du prosélytisme religieux des différentes confessions et cultures, d’autre part, sont permanents.
On relèvera, à cet égard, à titre d’exemple, le jugement, tout en nuances, ainsi qu’il en a le secret, rendu par le Conseil d’Etat à propos des crèches :
Pour savoir si une crèche de Noël est légale, la haute juridiction administrative a précisé dans sa décision d’Assemblée du 9 novembre 2016 , qu’il faut tenir compte du contexte (absence de prosélytisme), des conditions particulières de l’installation, de l’existence ou de l’absence d’usages locaux et du lieu de l’installation.
La situation est ainsi différente lorsqu’il s’agit d’un bâtiment public, siège d’une collectivité publique ou d’un service public, ou d’un autre emplacement public :
- dans un bâtiment public comme une mairie ou un conseil départemental, l’installation d’une crèche n’est pas conforme au principe de neutralité, sauf si des circonstances particulières permettent de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse ;
- dans les autres emplacements publics, en raison du caractère festif des installations liées aux fêtes de fin d’année notamment dans les rues et sur les places publiques, l’installation d’une crèche de Noël est possible, dès lors qu’elle ne constitue pas un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse.
Parce que les gouvernements successifs se croient tenus, sur cette question de la laïcité, comme en matière de droit des étrangers, d’inventer de nouveaux dispositifs pour remédier à l’inefficacité des procédures existantes, celui de Jean Castex a inventé le « déféré laïcité », introduit par la « loi du 24 août 2021 confortant les principes de la République », dite « Séparatisme », qui permet aux préfets de demander la suspension d’un acte d’une collectivité locale portant « gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics ». Le juge administratif dispose de 48 heures pour statuer sur la demande de suspension. Sa décision est susceptible d’appel dans les 15 jours devant le Conseil d’État, qui statue dans les 48 heures. Une instruction du gouvernement du 31 décembre 2021détaille les conditions d’application du déféré laïcité et les domaines dans lesquels il est possible : organisation de services publics locaux, subventions aux associations, etc.
Mais il est un autre sujet sur lequel il importe de se pencher et sur lequel le juge administratif n’a pas eu souvent l’occasion de se pencher : celui des conséquences à tirer du principe de laïcité sur le financement des édifices religieux plus d’un siècle après la loi de 1905
Comme on le sait, aux termes de l’article 2 de cette loi: « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. »
Par ailleurs, il résulte des articles 12 et 13 de la même loi que le mobilier d’un édifice cultuel qui appartient à une collectivité territoriale est également sa propriété, bien qu’il soit laissé à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de leur religion à défaut d’associations cultuelles (article 5 de la loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes).
Ainsi, la faculté d’engager les dépenses nécessaires pour l’entretien et la conservation des édifices de culte doit être articulée avec l’interdiction de subventionner les cultes posée à l’article 2 précité de la loi de 1905.
Dès lors, le financement du mobilier de l’édifice doit appeler à la plus grande prudence. Le mobilier liturgique étant destiné à l’exercice du culte, un projet de restauration qui comprendrait le financement d’un nouveau mobilier pourrait être assimilé à une subvention de l’exercice du culte. Ainsi, dans un vieil arrêt, le Conseil d’Etat juge que l’acquisition par une collectivité d’objets mobiliers destinés à la célébration du culte constitue une subvention prohibée (CE 11 juill. 1913, Commune de Dury, Lebon 830). Le risque de subvention prohibée est d’autant plus fort lorsqu’il s’agit d’installer un mobilier dont l’édifice en était jusqu’à présent dépourvu ou presque.
Dans une décision d’Assemblée du 19 juillet 2011 , le Conseil d’Etat a, pour censurer un arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes, (qui, comme le tribunal administratif de Nantes avant elle, avait jugé le contraire), admis la légalité de l’acquisition d’un orgue destiné à l’église paroissiale Saint-Pierre de la commune deTrélazé (Maine-et-Loire).
A cet égard, il n’est pas inintéressant de reproduire les principaux considérants de la décision de la haute juridiction administrative :
« Considérant qu’il résulte des dispositions précitées de la loi du 9 décembre 1905 que les collectivités publiques peuvent seulement financer les dépenses d’entretien et de conservation des édifices servant à l’exercice public d’un culte dont elles sont demeurées ou devenues propriétaires lors de la séparation des Eglises et de l’Etat ou accorder des concours aux associations cultuelles pour des travaux de réparation d’édifices cultuels et qu’il leur est interdit d’apporter une aide à l’exercice d’un culte ; que, par ailleurs, les dispositions de l’article 5 de la loi du 2 janvier 1907 garantissent, même en l’absence d’associations cultuelles, un droit de jouissance exclusive, libre et gratuite des édifices cultuels qui appartiennent à des collectivités publiques, au profit des fidèles et des ministres du culte, ces derniers étant chargés de régler l’usage de ces édifices, de manière à assurer aux fidèles la pratique de leur religion ;
Considérant, toutefois, que ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu’une commune qui a acquis, afin notamment de développer l’enseignement artistique et d’organiser des manifestations culturelles dans un but d’intérêt public communal, un orgue ou tout autre objet comparable, convienne avec l’affectataire d’un édifice cultuel dont elle est propriétaire ou, lorsque cet édifice n’est pas dans son patrimoine, avec son propriétaire, que cet orgue sera installé dans cet édifice et y sera utilisé par elle dans le cadre de sa politique culturelle et éducative et, le cas échéant, par le desservant, pour accompagner l’exercice du culte ; qu’à cette fin, il y a lieu que des engagements soient pris afin de garantir une utilisation de l’orgue par la commune conforme à ses besoins et une participation de l’affectataire ou du propriétaire de l’édifice, dont le montant soit proportionné à l’utilisation qu’il pourra faire de l’orgue afin d’exclure toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte ; que ces engagements qui peuvent notamment prendre la forme d’une convention peuvent également comporter des dispositions sur leur actualisation ou leur révision, sur les modalités de règlement d’éventuels différends ainsi que sur les conditions dans lesquelles il peut être mis un terme à leur exécution et, le cas échéant, à l’installation de l’orgue à l’intérieur de l’édifice cultuel;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en jugeant que les dispositions précitées de la loi du 2 janvier 1907 impliquent que tout équipement installé dans une église ne peut qu’être exclusivement affecté à l’exercice du culte et en en déduisant qu’une telle installation était nécessairement constitutive d’une aide au culte, sans rechercher si, compte tenu notamment de la nature de l’équipement en cause et des conditions convenues entre le desservant et la commune, les délibérations litigieuses avaient pu prévoir son installation dans l’église sans méconnaître les dispositions précitées des lois des 9 décembre 1905 et 2 janvier 1907, la cour a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit, par suite, être annulé ; »
Cette décision du Conseil d’Etat, pragmatique et dépourvue de tout préjugé, me paraît définir le cadre de ce que sont autorisées à faire les collectivités territoriales en matière de financement du mobilier des églises, dont son remplacement, près de 120 ans après les lois de 1905 et 1907.
S’il s’agit de réparer des objets mobiliers (bancs, chaises, autels, orgues, statues, chemins de croix, crucifix) présents dans l’édifice affecté au culte en 1905, les collectivités peuvent en assurer le financement sans méconnaître le principe de laïcité.
S’il s’agit d’acquérir un mobilier nouveau, comme l’orgue de l’église angevine, ce financement public est prohibé, sauf si, comme en l’espèce, ce mobilier peut servir à un autre usage que la célébration du culte auquel l’édifice religieux est affecté, à savoir par exemple, l’enseignement de la musique ou encore son utilisation à l’occasion de concerts profanes.
De plus en plus les églises, du fait de la baisse de la pratique religieuse, accueillent des manifestations culturelles diverses (expositions, concerts, conférences), ce qui tend à modifier, (sans pour autant entraîner leur désaffectation au culte), l’usage des édifices religieux. Dès lors, il est possible d’envisager le financement public, dans ces lieux restant affectés au culte, de mobilier, dès lors que celui-ci peut servir à d’autres usages autres que le culte, à partir du moment où ces autres usages répondent à un intérêt public. Mais, comme le préconise le Conseil d’Etat, une convention entre la collectivité et l’affectataire du lieu de culte apparaît nécessaire.
Une dernière observation doit être faite : les lois de 1905 et de 1907 n’interdisent naturellement pas le financement privé d’objets mobiliers, même fixés à perpétuelle demeure, (tels des crucifix, des statues, des autels, des chemins de croix,…) devenant ainsi des immeubles par destination, dès lors pour ces derniers, parce qu’ils sont incorporés à l’édifice, d’avoir recueilli l’accord de la collectivité. Ainsi, il est possible à de riches mécènes, de financer (pour le salut de leur âme ?), ce mobilier nouveau, quand bien même, il aurait une vocation et un usage exclusivement liturgiques.