« Apporter 103 solutions à 103 départements ! »
Le Journal des Départements : En supprimant le timbre rouge, La Poste semble abandonner un service important. Pourquoi ce choix ?
Philippe Wahl : Ce n’est pas La Poste qui abandonne la lettre rouge, ce sont les Français qui n’écrivent plus de lettres rouges. Comme je l’ai expliqué au Sénat, il y avait 4,25 milliards de lettres rouges en 2008 pour 275 millions en 2022. Sur ces 275 millions de lettres rouges, on dénombrait 75 millions de lettres émanant des particuliers. Cela signifie qu’en 2028, à ce rythme-là, il n’y aura plus de lettres rouges !
Il s’agit d’un constat : les Français n’utilisent plus la lettre rouge pour leurs besoins de communication urgents.
Nous nous sommes donc interrogés sur l’opportunité de maintenir toutes les nuits les 300 camions de liaisons nationales et les 3 avions qui acheminaient ces lettres rouges. Outre le coût économique que ce dispositif engageait, il représentait 25% des émissions carbone de l’ensemble du courrier. Il s’agit donc d’une mesure absolument indispensable face à un service qui n’est plus utilisé. Pour faire un envoi de courrier, on peut utiliser la lettre turquoise J+2 ou la lettre verte à J+3.
Alors quand certains disent qu’on ne peut plus envoyer de lettre d’amour… on le peut en J+2 au lieu de J+1…Espérons que l’amour puisse tenir plus d’une journée ! Et il y a bien sûr le téléphone et toutes les formes de messageries !
LJD : La e-lettre rouge paraît compliqué d’utilisation. N’est-ce pas un moyen de l’enterrer ?
PW : La e-lettre rouge permet aux gens qui le veulent absolument, d’envoyer un courrier qui sera reçu le lendemain.
En fait, nous étendons aux particuliers une solution qui existe déjà pour les entreprises et les Départements.
Si un Conseil départemental a besoin d’envoyer rapidement des courriers, il nous envoie le fichier de manière numérique, on le rematérialise et on s’occupe de tout. Il n’y a pas besoin de disposer d’enveloppes, de coller des timbres…. Les départements de la Loire-Atlantique et des Pyrénées-Atlantiques, par exemple, utilisent régulièrement cette solution de courrier hybride.
Les entreprises envoient chaque jour 160 000 lettres hybrides. Donc nous n’avons pas inventé un système nouveau. Il nous paraissait intéressant de proposer aussi cette solution aux particuliers. Le but, c’est que ça marche !
LJD : Mais pour l’instant, ça n’a pas l’air de marcher…
PW : On en est au démarrage et c’est normal. Les gens découvrent, mais les entreprises et les institutions utilisent déjà ça. Quand nous lançons un nouveau service, il y a souvent au départ du scepticisme ! Il faut laisser le temps faire son travail. Regardez d’ailleurs par exemple le chemin que nous avons parcouru sur la livraison de repas : 3 millions de repas livrés l’année dernière ! On était à zéro il y a quatre ans. Aujourd’hui nous avons atteint 700 millions d’euros de chiffre d’affaires sur les services de proximité humaine.
LJD : Autre sujet de préoccupation que l’on ressent vraiment au niveau local et notamment dans le milieu rural c’est l’histoire des six jours sur sept. Est-ce que ça va continuer ? Est-ce que j’aurai mon journal le matin ? Etc.
PW : Ecoutez, là-dessus, je l’ai dit sans détour et j’ai été surpris de la polémique parce qu’elle repose sur un mensonge. Toute notre stratégie, c’est de distribuer six jours sur sept. D’autres pays le font cinq jours sur sept, voire quatre jours sur sept. En Italie, dans le rural, on est à trois jours sur sept.
Pourquoi nous voulons maintenir le 6 jours sur 7 ? Parce que, ce que nous cherchons, ce n’est pas de passer moins souvent, c’est de passer plus souvent.
Pour la presse, je suis clair aussi : tout le monde aura son journal, son quotidien, tout le monde aura son colis, tout le monde aura sa lettre suivie, tout le monde recevra son repas puisqu’on est entré massivement dans livraison de repas et tout le monde aura sa livraison de médicaments ou sa visite à domicile.
Le but, c’est de conserver la distribution six jours sur sept car nous mettons en avant notre capacité quotidienne de joindre le grand public. On ne va pas remettre cela en cause, ce serait un changement de stratégie majeur. Donc il n’y a pas de remise en cause de la tournée quotidienne. Alors si maintenant on veut me faire dire qu’un facteur s’arrête moins souvent que quand il y avait trois fois plus de lettres, oui, c’est une évidence. Mais tout ce qu’on cherche, c’est à nourrir la tournée du facteur pour qu’il s’arrête le plus souvent possible. Et d’ailleurs, vous le voyez, en livrant des repas quotidiens, on montre bien que nous sommes prêts à passer tous les jours !
LJD : Justement, pouvez nous dire un peu plus sur ces nouveaux services que vous développez de façon très importante, et qui concernent très souvent les Départements ?
PW : D’abord, je vais vous répondre à contrepoint, avec les livraisons de repas qui concernent majoritairement les CCAS et CIAS ou des structures associatives. Ce service peut aussi être mis en place avec les Départements. En Lozère par exemple, nous avons passé un accord avec le Conseil départemental et nous allons collecter les repas, dans les cantines, dans les régies des hôpitaux du département. Nous pouvons aussi proposer de la livraison de médicaments.
LJD : Il n’y a pas besoin d’autorisation particulière pour les médicaments ?
PW : Si, bien sûr, c’est réglementé. Nous avons passé un accord avec l’ordre national des pharmaciens. Il faut ensuite que chaque pharmacien adhère. Dans les Départements, je crois que tout l’enjeu prioritaire, c’est l’action sociale. Nous intervenons dans le cadre du vieillissement de la population et de la prévention en santé.
Un tout autre service que nous proposons c’est la sensibilisation des ménages à la rénovation énergétique avec notre filiale EDE (Economie d’Energie).
Nous pouvons réaliser des visites dans le cadre de dispositifs départementaux, par exemple, avec la Vendée. Nous avions expérimenté avec Bruno Retailleau les dispositifs d’économie d’énergie. Concrètement, le facteur réalise une remise commentée auprès des particuliers et présente le dispositif départemental de politiques publiques.
Puis, il repasse une semaine après pour savoir si les personnes sont intéressées ou pas. Cette remise de document commentée permet une pédagogie de masse.
LJD : C’est intéressant quand on voit que la moitié des gens n’ont pas demandé la prime essence ou rénov’
PW : Tout à fait, on a beau dire avec le numérique, mais les cibles centrales de l’action publique n’accèdent pas aux primes publiques par l’Internet, il faut aller les voir.
Le deuxième type d’actions, concerne les visites de prévention. On y travaille avec les Conseils départementaux et la CNSA. Là, le facteur rentre et il adresse un questionnaire. Il ne prodigue pas de soins, il adresse un questionnaire et les données remontent aux opérateurs publics.
Nous l’avons réalisé à plusieurs reprises, notamment avec le dispositif DIVA, qu’on a développé avec les Départements ou les communes un peu partout en France.
Ensuite, il y a l’heure de convivialité, qu’on met en œuvre en Mayenne. Olivier Richefou a des effectifs départementaux, mais devant la contrainte de trouver des personnes, il fait appel à des factrices et à des facteurs. Nous avons passé une convention avec le Département.
Il y a ensuite une visite de lien social. Il s’agit d’un service qui s’appelle « Veiller sur mes parents » et qui se développe bien en ce moment.
Cette capacité, soit de pédagogie, soit d’accompagnement dans le remplissage de dossiers administratifs, c’est toute une palette d’interventions humaines à domicile que La Poste met à la disposition des Départements !
Nous proposons des solutions Département par Département et nous sommes présents partout.
LJD : Ce type d’accompagnement représente-t-il un moyen de lutte contre l’illectronisme…
PW : Évidemment, parce que quand les postières et les postiers rencontrent une famille ou une personne qui est en situation d’illectronisme, ils savent les aider ou les orienter vers un France Service ou vers une structure départementale. Nous disposons de plus de 400 bureaux de poste labellisés France services. Donc il y a là une puissance de proximité et de capacité d’impact sur les gens.
LJD : Que pensent vos facteurs de ces dispositifs ?
PW : Ils sont à fond pour !
LJD : Il est certain que sinon vous auriez été obligé de licencier en quelque sorte ?
PW : Je ne dirais pas ça, c’est au-delà même de l’aspect économique. C’est la relation des postiers avec la population et les territoires. Ils dialoguent avec les gens, et bénéficient de leur confiance. Au quotidien, ce sont des centaines d’histoires incroyables, comme celle de la pince à linge qui signifie qu’il y a quelque chose dans la boîte aux lettres. On a ce savoir-faire. Au moment où les Départements cherchent à être plus efficaces dans l’aide sociale et où des enjeux de lien social et de virage domiciliaire des politiques publiques se posent, il y a la réponse que La Poste peut apporter avec les factrices et les facteurs.
LJD : Vous venez de signer une convention avec l’AMF et l’État, notamment sur la présence postale.
PW : Nous sommes très contents de cet accord tripartite et triennal avec l’AMF. Il nous permet de répondre à un certain nombre de leurs demandes : la fameuse ouverture du bureau de poste du samedi et du jour du marché en semaine, ainsi que la préoccupation des fermetures inopinées. On répond à leur besoin, ainsi qu’à la question de la mutualisation et de la fréquentation, en lien avec les maires. C’est un très bon accord et nous allons apporter des preuves aux maires que nous les avons compris et que nous mettons en place nos engagements.
LJD : Quels messages auriez-vous à porter aux départements ?
PW : Nous voulons apporter à chaque département sa solution. Ce n’est pas du coup par coup, c’est l’adaptation de La Poste à l’organisation départementale : apporter 103 solutions aux 103 départements !
Le grand message que je souhaite communiquer aux Départements, c’est : « Vous avez avec La Poste à disposition une puissance de proximité et de pédagogie pour des millions de personnes et pour tous les domiciles de votre département avec des factrices et des facteurs qui portent l’intérêt public et qui peuvent faire la pédagogie des politiques publiques ou être un instrument des politiques publiques. »
Je pense que c’est l’instrument le plus efficace et le plus reconnu par des millions de personnes. Nous sommes pour les Départements, un acteur de leur politique publique départementale et c’est comme ça qu’on souhaite être considérés. C’est comme ça qu’on veut agir. Il faudra les convaincre, Département par Département.
LJD : Dans la pratique, le Département rencontre donc un directeur postal départemental ?
PW : Bien sûr, il y a des directeurs délégués sur les territoires et ils les connaissent. Il y a un délégué régional et il y a des délégués départementaux qui ont l’accès à toute l’offre postale.
En général, ils se connaissent au travers des commissions de présence postale territoriale. Mais ils peuvent les connaître de façon très simple, par les délégués des territoires.
Ce qui est intéressant d’ailleurs, c’est de voir, et je sais que vous en avez fait le recensement, le nombre d’initiatives qu’on a déjà prises : Lutte contre les déserts médicaux avec le département de l’Ain, village Alzheimer avec les Landes…
LJD : Qu’est-ce que vous pouvez faire sur les déserts médicaux ?
PW : Donner des informations : où sont les besoins de médecin de proximité ? Est-ce que vous avez une bonne couverture ? Quels sont vos besoins ? Et ça, ce sont des questions qu’on peut poser à tous les habitants d’un département.
Nous sommes le leader de la décarbon-ation logistique
LJD : Ça nous amène à des questions qui touchent aux transitions. Nous organisons le 8 juin prochain avec le département du Rhône, une journée sur les transitions et principalement avec des élus, pour qu’eux-mêmes nous disent quelles sont leurs bonnes pratiques.
PW : Plusieurs thématiques : la transition énergétique, la transition climatique, la transition numérique. Vous êtes concernés à peu près sur tous ces sujets là…
Quand on a lancé notre plan stratégique, nous avons choisi de répondre aux quatre grandes transitions :
– la transition écologique qui comprend le climat, l’énergie, la biodiversité, qui est devenue un élément clé chez nous
– la transition numérique, avec sa double dimension : la protection de l’intimité numérique. C’est le coffre-fort digiposte, c’est notre identité numérique reconnue au plus haut niveau de sécurité. Et la lutte contre l’exclusion numérique, les conseillers numériques dans les bureaux de poste, les factrices et les facteurs.
– la transition territoriale, d’où d’ailleurs l’accord avec l’AMF et ce que nous travaillons avec François Sauvadet, Claude Riboulet et tous les élus départementaux.
– la transition démographique, le choc du vieillissement à venir. Et là, le virage domiciliaire du pays, c’est à dire la politique nationale comme les politiques départementales qui prennent ce virage domiciliaire et trouvent avec nous un soutien et un opérateur qui peut être aux côtés des régies départementales et des associations.
LJD : Et la décarbonation ? Vous êtes très impliqué ?
PW : Nous sommes le leader de la décarbonation logistique. Je vous rappelle que Geopost est en Europe et en France, la seule entreprise logistique qui ait eu sa trajectoire de décarbonation agréée.
Notre banque a été la première à décider de sortir du financement des énergies fossiles en 2030. Elle est de très loin la banque la plus avant-gardiste en matière de finance à impact.
Et quand vous regardez les véhicules des facteurs, ce sont les plus électrifiés de toutes les flottes. Ce qui fait de nous un leader de la transition écologique et de la décarbonation et cela constitue une priorité pour notre groupe.