Claude ROMEO, Directeur Départemental Honoraire Enfance Famille de Seine St Denis et Ancien Président de l’ANDASS
Le nombre de patients suivis en pédopsychiatrie a augmenté de 60% en 20 ans. La pédopsychiatrie peine à répondre â la demande de soins, elle est abandonnée !.
En témoigne la situation vécue par une adolescente de 13 ans après 4 tentatives de suicides, 3 passages aux urgences et 3 séjours en pédiatrie. A chaque fois la même réponse aux parents « il n’y a pas de place en pédopsychiatrie, rentrez chez vous, on vous rappellera ». Pas de places dans 4 hôpitaux parisiens pendant 3 mois, au point de demander aux parents d’être infirmiers de leur fille, d’instaurer des traitements qui justifient une surveillance accrue avec les mêmes consignes « aller aux urgences en cas de passage à l’acte ». Devant de telles difficultés, le médecin traitant décide de faire une information préoccupante pour demander une admission à l’Aide Sociale à l’enfance.
Voilà un témoignage édifiant, mais pas étonnant quand une dizaine de Départements ne possède aucun lit d’hospitalisation. On admet alors en psychiatrie adultes des enfants en grande détresse.
Un dernier chiffre, l’activité en pédopsychiatrie a augmenté de 80% durant les dernières décennies, les moyens n’ont progressé que de 5%. La conséquence d’un manque d’attractivité et de visibilité quand 9 universités sur 31 n’avaient aucun Professeur des universités praticien hospitalier en pédopsychiatrie.
Face à cette situation, la coordination entre protection de l’enfance et pédopsychiatrie se heurte à des difficultés structurelles pour répondre aux besoins des enfants concernés. Ajoutez à cela les difficultés de recrutements des métiers du social avec 30 000 postes vacants.
Les difficultés de coopération
Les lois de protection de l’enfance de 2007 et 2016 ont souligné l’importance de la dimension Santé, notamment au moment de l’évaluation de l’information préoccupante où de l’élaboration du projet pour l’enfant (PPE), et rendu obligatoire un médecin référent de protection de l’enfance pour assurer les liens entre les différents professionnels du soin.
Force est de reconnaître que ce volet Santé n’est pas idéalement réalisé ni avec les parents ni avec les enfants eux-mêmes, ni avec les partenaires institutionnels, selon la HAS. Comme le souligne le Pr Guillaume BRONSARD, chef de Service et du CHU de BREST « les collaborations entre les services de protection de l’enfance et ceux de Pédopsychiatrie sont fréquentes, anciennes, mais facilement conflictuelles, chaotiques produisant un soin et une prévention dégradée, aboutissant à un défaut de coordination et d’alliance, chacun pouvant envoyer à l’autre sa défaillance. La conséquence ? Très souvent le recours à l’urgence par les professionnels de la protection de l’enfance ».
Des alliances nécessaires
Un des moyens de montrer qu’ensemble ils parviendraient à mieux travailler est que l’alliance aidera chacun à se renforcer dans ses buts et ses missions. La loi de protection de l’enfance de Février 2022 prévoit la création à titre expérimental pour 5 ans seulement, d’un Comité départemental de protection de l’enfance présidé par le Président du conseil départemental et le Préfet, la vice-présidence étant confiée au Procureur de la République.
La présence des différents services dont l’ARS devrait favoriser une coopération plus efficace pour définir des politiques communes de prévention et de protection de l’enfance dans l’intérêt de l’enfant.
Cela nécessite de réviser des pratiques notamment une implication plus importante des psychologues de protection de l’enfance pour penser les difficultés et projets des enfants. Celle-ci est essentielle pour qu’ils soient des partenaires majeurs pour la continuité de la prise en charge en pédopsychiatrie. Actuellement leurs missions se limitent trop souvent à un rôle institutionnel qui devrait être repensé pour s’étendre aux soins individuels et familiaux, pour orienter un dispositif afin que la séparation familiale contrainte puissent produire en elle-même des effets thérapeutiques.
La situation actuelle ne convient pas aux psychologues eux-mêmes. L’Association Nationale des psychologues des collectivités territoriales vient de s’adresser â la Secrétaire d’Etat à l’enfance pour indiquer le sous emplois des psychologues territoriaux dans le cadre des dispositifs locaux de protection de l’enfance. Elle considère cela comme fortement préoccupant car il contribue à la dégradation progressive des services offerts « aux usagers » les plus fragiles que sont les enfants de l’Aide sociale à l’enfance.
Secteur unifié de protection et de soins pour l’enfance en danger
Il devient urgent de mettre en place une politique nationale coordonnée entre la protection de l’enfance et la pédopsychiatrie.
Lors de notre rencontre en Janvier avec la Pr Marie-Rose Moro, au Cabinet de Charlotte Caubel, Secrétaire d’Etat à l’enfance, nous avons préconisé la mise en place d’un « Secteur unifié de protection de l’enfance en danger » présenté par le Pr Guillaume Bronsard, qui permettrait de construire un dispositif global, gradué et formalisé pour la santé mentale des enfants accueillis â l’Aide Sociale à l’enfance en stabilisant et coordonnant l’articulation des professionnels. Ce statut d’enfants accueillis produirait un avantage adapté â la réalité des besoins dans l’accès aux soins et non un inconvénient supplémentaire pour ces mineurs. Il engagerait les acteurs de la protection de l’enfance et ceux de l’inter secteur de psychiatrie infanto juvénile, mais aussi les CMPP, LES C.A.M.P.S. et les Maisons des adolescents qui peuvent avoir un rôle majeur selon les circonstances locales.
Le principe général de la démarche serait, selon le Pr BRONSARD, qu’elle soit construite par les deux champs concernés et entretenues sans limite de temps.
La gouvernance du secteur unifié doit être bipartite au niveau départemental.
Certains professionnels de terrain pourraient s’inquiéter de l’opportunité de créer ce secteur unifié du fait du manque de moyens financiers et humains actuels de la protection de l’enfance et de la pédopsychiatrie, pourtant cette alliance est nécessaire.
Voilà une raison supplémentaire pour présenter une feuille de route pluriannuelle lors des Assises nationales de pédiatrie et de la santé de l’enfant au printemps 2023.
Regrettons toutefois qu’on limite la pédopsychiatrie à relever le seul défi de la santé mentale. Pourtant l’enjeu du projet de secteur unifié est une modification significative de la réponse en terme de santé mentale aux besoins importants et réductibles spontanément des enfants accueillis à la protection de l’enfance. La concomitance des actions et l’intégration dans un projet unifié est un élément déterminant pour une autre politique publique pour ses enfants en difficultés.
La pédopsychiatrie doit constituer un acteur incontournable de la protection de l’enfance pour que la politique de santé psychique à l’égard de tous les enfants et particulièrement les plus vulnérables soit une réalité.