Quelle est l’autorité compétente en matière d’hébergement d’urgence ?
L’hébergement d’urgence des familles avec enfants qui connaissent de graves difficultés, parce qu’elles n’ont pas de logement et se retrouvent à la rue, relève de la compétence de l’Etat en application des articles L. 121-7 et L. 345-1 du code de l’action sociale et des familles. Les services préfectoraux doivent ainsi mettre en place, en application de l’article L. 345-2 du même code, un dispositif de veille sociale (le 115) permettant la prise en charge de ces familles dans chaque département.
Mais cette compétence de principe de l’Etat en matière d’hébergement d’urgence a été brouillée : d’une part, le conseil départemental est compétent, au titre de l’aide sociale à l’enfance, pour assurer la prise en charge des femmes enceintes et des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans en application de l’article L. 222-5 ; d’autre part, le Conseil d’Etat considère, depuis une décision du 30 mars 2016, que la compétence de l’Etat en matière d’hébergement d’urgence n’est pas exclusive de celle du Département, qui peut être appelé à suppléer temporairement la carence des services préfectoraux, en prenant en charge le paiement de nuits d’hôtels.
Quelles sont les conséquences de cet enchevêtrement autour de la compétence en matière d’hébergement d’urgence ?
La principale conséquence est que les Départements se retrouvent de plus en plus à devoir assumer l’hébergement d’urgence des familles en lieu et place de l’Etat. Ainsi, pour prendre l’exemple du Département du Puy-de-Dôme, que nous avons défendu devant le Conseil d’Etat, celui-ci avait pris en charge, de 2012 à 2016, l’hébergement d’urgence de 102 familles pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, pour un montant de près de 1,3 millions d’euros.
Et, malheureusement, cette situation ne devrait pas s’améliorer à l’avenir en raison du contexte budgétaire et de la saturation permanente des structures d’accueil mises en place par les services préfectoraux.
C’est pourquoi la jurisprudence prévoit que le Département peut engager une action récursoire en responsabilité contre l’Etat en cas de « carence avérée et prolongée » de ce dernier dans l’exécution des obligations qui lui incombent en matière d’hébergement d’urgence des familles avec enfants.
Quels enseignements peut-on tirer de la décision du Conseil d’Etat du 22 décembre 2022 ?
Notre crainte était que cette action récursoire apparaisse comme une « fausse fenêtre », c’est-à-dire une voie de droit vouée à l’échec en raison d’une appréciation trop stricte des conditions d’engagement de la responsabilité de l’Etat. La cour administrative d’appel de Lyon et le Conseil d’Etat ont heureusement jugé le contraire, en rappelant que l’Etat ne pouvait ignorer la situation des familles à la rue et que sa carence devait être considérée comme fautive au-delà d’un délai d’un mois à compter de la demande de prise en charge de ces familles ou de leur éviction d’un dispositif d’hébergement social de l’Etat.
La Haute juridiction administrative a ainsi confirmé la condamnation de l’Etat à indemniser les frais d’hébergement d’urgence pris en charge, au-delà d’une durée d’un mois, par le Département du Puy-de-Dôme. Mais ce succès contentieux doit beaucoup au travail réalisé en amont par les services du conseil départemental, qui avaient établi un tableau détaillé récapitulant la situation administrative, économique et sanitaire de chacune des 102 familles concernées, et plus particulièrement à M. Sébastien Defix, directeur général adjoint des services, Mme Elsa Bertin, conseillère juridique, et notre confrère, Me Thomas Benages, qui a défendu les intérêts du Département en première instance et en appel.