Claude ROMEO, Directeur Départemental Honoraire Enfance Famille de Seine St Denis et Ancien Président de l’ANDASS
L’expression « enfants pauvres» renvoi traditionnellement aux univers de Victor Hugo, Emile Zola au 19éme siècle où bien aux espaces réels de l’Afrique, Calcutta, des favélas pour notre époque.
En France, la question de la pauvreté des enfants c’est progressivement imposée sur l’agenda politique au point de devenir réalité d’actions. En 2005, le rapport Hirsch créant le RSA contenait 15 résolutions pour la combattre.
Fin 2017, c’est la nomination d’un délégué interministériel à la prévention et â la lutte contre la pauvreté, avec l’engagement particulier de lutter contre la présence d’enfants à la rue et de diviser par 2 d’ici 2023 le taux de privation matérielle des enfants pauvres. En 2020, un décret créait les fonctions de commissaire à la lutte contre la pauvreté auprès des Préfets de Région.
OÙ EN SOMMES-NOUS EN 2023 ?
On compte 11 millions de personnes pauvres, dont 2 millions en grande pauvreté. Parmi elles, 3 millions d’enfants pauvres soit 1 enfant sur 5, nettement supérieur à celui de l’ensemble de la population (autour de 17%). Une étude de l’Insee montre que les moins de 3 ans et les 15-18 ans sont les plus touchés. Ce chiffre stagne depuis 10 ans.
Selon l’Observatoire des inégalités, « cette pauvreté des enfants est plus importante dans les familles monoparentales qui représentent un quart des très pauvres, contre 10% pour la population française ». 7 millions de personnes ont eu recours â l’aide alimentaire des associations caritatives. Durant le Covid, 1 étudiant sur 2 estimait ne pas avoir mangé à sa faim de façon répétée.
Pour poursuivre sur la pauvreté, 81 000 personnes pauvres sont sans logement, accueillies en établissement (Hors urgence), dans les centres d’hébergement d’accueils pour les demandeurs d’asile où dans des hôtels sociaux, dont 1/3 sont des mineurs.
42 000 enfants vivaient dans des hébergements d’urgence où des abris de fortunes, 2000 dormaient dans la rue et 368 ont moins de 3 ans, selon une étude de l’UNICEF
Les enfants sans domicile fixe, parmi les plus pauvres, n’apparaissent pas dans les statistiques établies à partir des ménages parce ce que précisément ils n’ont pas de logement.,
Enfin, les enfants accompagnant des adultes qui mendient, aucune statistique crédible ne saurait aujourd’hui les décrire. Exposés à la rue, ils sont certainement les plus en difficulté.
L’UNICEF alerte sur l’extrême pauvreté des mineurs non accompagnés (MNA) qui, dans l’attente de la validation de leur demande de protection ou de l’audience devant le juge lorsque leur minorité a été contestée, ne bénéficient pratiquement d’aucune protection, vivant souvent dehors ou dans des habitats précaires.
Surpeuplés, insalubres ces lieux sont des sources d’angoisse, comme pour Julien 15 ans qui vit avec sa famille dans 9 m2, et dit « je mange sur mon lit ».
Cette situation entraine une surreprésentation des familles pauvres dans les mineurs accueillis par les services de l’Aide Sociale à l’enfance.
QUELLES CONSÉQUENCES ?
La pauvreté prive les enfants du droit fondamental à la vie, mais aussi d’éducation, de soins, d’alimentation, de logement, de protection, les expose à la violence, la vulnérabilité, l’exploitation, la maltraitance, aux discriminations et à toutes les inégalités.
La pauvreté est une véritable privation de l’enfance et conduit à une remise en cause de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) à laquelle adhère la France avec la quasi-totalité des pays du Monde.
Les enfants pauvres ont une probabilité 3 à 4 fois plus grande d’être en échec scolaire parmi les 100 000 jeunes quittant la scolarité sans aucun diplôme, ni qualification.
Dans une société où le diplôme constitue un sésame pour l’emploi, lutter contre la pauvreté infantile impose de lutter contre le phénomène de reproduction de génération en génération. Ce combat contre la pauvreté s’avérera inefficace si les enfants pauvres deviennent eux-mêmes des parents pauvres.
Sur le plan de la santé ils souffrent de malnutrition, la «malbouffe», de dépression conduisant à un état de stress post-traumatique, 20% de troubles de santé mentale.
Quel choc d’entendre certains responsables politiques parler d’assistanat ! Cela amène Stéphane Troussel Président du Conseil départemental de Seine Saint Denis dans son livre – Seine St Denis, la République au défi – à écrire « nous devons être intransigeant vis à vis des discours sur l’assistanat et refuser toute stigmatisation à travers des petites expressions comme « le pognon de dingue » employé malencontreusement par le Président de la République ».
La réalité est, comme le rappelle Louis MAURIN, Directeur de l’Observatoire des inégalités, qu’ « il existe un grand décalage entre la réalité sociale et les politiques mises en place. On ne peut pas dire qu’il n’y a pas de préoccupations, mais ce n’est pas à la hauteur des besoins ».
Il faut une évolution des politiques publiques en faveur de la lutte contre la pauvreté, pour permettre que chaque enfant ait les mêmes chances où qu’il naisse, comme le déclare la première Ministre au premier Conseil interministériel de l’enfance le 21 Novembre 2022.
PAUVRETÉ DES ENFANTS: DES MESURES EFFICACES…
Aborder les besoins des enfants pauvres est à la fois complexe, pluridimensionnel : sociétal, psychologique, éducatif, politique, économique, médical et éthique et concerne plusieurs acteurs : État, Collectivités territoriales, Caisses d’allocations familiales, associations, le secteur de la Santé. C’est pourquoi plutôt que détailler les mesures, j’évoque plutôt l’esprit qui doit nous guider.
L’Assemblée Nationale vient de se doter d’une délégation parlementaire des Droits de l’enfant. Elle doit être en lien avec les institutions et les acteurs de l’enfance, et s’imposer comme un passage obligatoire et préalable de toute proposition de loi afin de mesurer ses effets potentiels sur l’enfance et l’adolescence. Cela doit être encore plus une préoccupation s’agissant des politiques publiques concernant les enfants en situation de pauvreté qui sont souvent nés avec des sentiments d’insécurité, d’impuissance, d’inutilité sociale, d’humiliation, de culpabilisation, de fatalisme.
Il s’agit d’agir d’une manière inégalée sur leur développement dès le plus jeune âge ; en favorisant l’accès aux lieux d’accueils collectifs de la petite enfance ; en allant vers les parents pour faire comprendre l’intérêt pour leurs enfants d’un apprentissage en collectivité en lien avec la recherche des 1000 premiers jours de la vie ; en agissant sur la santé, l’éducation avec une école de la République qui favorise l’insertion citoyenne, sociale et professionnelle, les Droits de l’enfant.
COMMENT Y PARVENIR ?
Prendre d’urgence les mesures nécessaires pour que les parents des enfants pauvres sortent de la précarité dans laquelle ils vivent, afin d’éviter la reproduction des inégalités et leurs conséquences.
Permettre à ses parents de retrouver la confiance nécessaire pour oser demander de l’aide. Il n’est pas normal, selon le rapport de la DREES, que 600 000 personnes éligibles au RSA ne la réclament pas, alors qu’il leur permettrait de reconquérir leurs droits et que les mesures envers leurs enfants soient efficaces.