La Rédaction : Avez-vous regardé la finale de la coupe du monde ?
Cécile Delozier : Oui, bien sûr pour le sport et pour la politique !
LR : Le débat a été vif sur la dimension politique de cet événement. N’est-ce pas un peu exagéré ?
CD : Absolument pas . Les rencontres sportives ont toujours été le lieu de la politique et même « du » politique . Souvenons-nous que durant les jeux Olympiques dans la Grèce Antique tous les combats devaient cesser et que nul n’était autorisé à pénétrer en armes sur le territoire d’Olympie. Au commencement du sport, il y a la politique. Le sport est une représentation symbolique et ludique des rapports de force entre les nations. La sémantique du sport reprend celle de la guerre : « victoire », « vaincus », « combat », « humiliation », « triomphe » …
Il s’agit donc d’observer les signes sonores et visuels pendant cette coupe du monde comme de la communication politique .
LR : Du symbole politique y compris lors de la cérémonie de remise de la coupe ?
CD : En effet, il s’agit d’une véritable mise en scène politique. D’abord il faut analyser le dispositif scénique esthétique hautement symbolique : ce grand 8 horizontal qui imite le signe mathématique de l’infini évoque un temps éternel, une volonté d’inscrire ce moment dans l’Histoire. C’est la première coupe du monde organisée dans un pays arabe, il faut dépasser l’instant. Il faut inventer une imagerie et un récit propre à créer une mythologie qui se prolongera au-delà du présent. Ensuite, qu’avons-nous pu observer sur cette scène de remise de la coupe? Des footballeurs en tenue de sport, des hommes occidentaux en costume et des Qataris avec un ghutra sur la tête (un voile traditionnel). Jusque là , rien d’anormal. Ce qui m’a interpellée , c’est la tenue des femmes du service du protocole . Elles portaient une tenue de style hôtesse de l’air avec un simple calot sur la tête. De plus, la cheffe du protocole arborait une chevelure abondante et non attachée. Au fond, paradoxalement, sur cette scène, seuls les hommes étaient « voilés ». Ce pays islamique où les femmes sont fortement incitées à porter le voile a profité de cet événement pour envoyer un message politique fort. Ils semblaient nous dire : nous ne sommes pas si obtus que vous le croyez, nous savons nous adapter…
LR : Quels sont les autres messages qui ont été délivrés selon vous ?
CD : Je trouve que le moment où l’Émir du Qatar a revêtu le capitaine de l’équipe championne du monde, Lionel Messi, d’une cape noire est très intéressant. Il s’agit d’une tenue traditionnelle arabe appelée bisht. Historiquement, ce sont les guerriers arabes qui la portaient après une victoire. On retrouve la symbolique de la guerre certes, mais pas seulement. Le fait d’habiller quelqu’un en public, de répéter des gestes ancestraux lors de cette cérémonie renvoie à des rites. Dans notre imaginaire occidental, comment ne pas penser à l’adoubement des chevaliers ? Au Moyen-Age, ce rite de passage était caractérisé par la remise des armes par un supérieur social et inscrivait les relations entre l’initiateur et l’initié dans des rapports féodaux-vassaliques qui structurent l’aristocratie. Ici les références culturelles sont un peu différentes mais le geste accompli par l’Émir du Qatar met au premier plan devant, ne l’oublions pas , plus d’un milliard et demi de spectateurs une tenue vestimentaire orientale, un rite arabe et s’associe ainsi au triomphe sportif pour l’éternité. C’est manifestement un geste d’appropriation du joueur si ce n’est de l’événement entier. », On peut se demander en lisant dans le New-York Times que « le Qatar a souhaité que ce soit son moment autant que celui de Messi et de l’Argentine si en réalité le Qatar « sur-récompense » le capitaine de l’équipe championne ou bien Lionel Messi joueur star d’un club appartenant au Qatar. Faudra-t-il dorénavant que le pays organisateur offre une distinction particulière au capitaine de l’équipe championne ? Nous touchons au paroxysme de la starification des joueurs dans un sport d’équipe où le collectif serait au service d’un seul.
LR : Enfin, qu’avez-vous pensé du comportement du président de la France, Emmanuel Macron ?
CD : Emmanuel Macron a utilisé ce formidable moyen de représentation qu’est la retransmission de la finale du mondial. Parmi ce milliard et demi de spectateurs , qui connaissait Messi ? Qui connaissait Macron ? Dans cette perpétuelle quête de notoriété et de puissance que représente la politique, il eût fallu être fou pour ne pas user (voire abuser ) de ce média , ce jour-là, à ce moment-là ! S’exhiber aux côtés de MBappé et de Messi , c’est capter un peu de leur aura . C’est aussi envoyer un message universel, « urbi et orbi » comme on dirait à Rome , un message de puissance et de fierté.