Edito :
Anne Jestin, Directrice générale des services de la Métropole de Lyon, est notre dernière invitée de l’année 2022.
Architecte Dplg, diplômée du centre des hautes études de Chaillot, elle a fait sa carrière d’architecte urbaniste de l’Etat de 2004 à 2014 en service territorial de l’architecture et du patrimoine (Isère et Drôme) et comme chef de service logement et construction de la DDT de l’Isère. De 2014 à 2016, elle exerce des fonctions de Conseillère en renouvellement urbain et ville durable en ministères puis rejoint la territoriale en tant que directrice générale des services techniques à la Ville de Lyon.Deux ans après sa nomination à la tête des 9200 agents de cette collectivité unique dans notre paysage institutionnel, elle nous présente son « grand projet » de territorialisation des services. Plus qu’un sujet de conduite du changement ou une démarche d’optimisation de l’organisation, c’est un chantier pour « architecturer » les services et « inscrire » dans le territoire, dans la relation aux usagers, l’ensemble des services publics de la Métropole dont il s’agit ici.
Nous vous laissons découvrir les travaux qu’elle a mis en œuvre et, à travers eux, probablement mieux connaître cette nouvelle collectivité.
Avec son conseil de lecture en fin d’interview, elle nous donne aussi à voir sa philosophie de l’action en tant que dirigeante publique.
Bonne lecture et à l’année prochaine avec d’autres Dgs qui s’engagent pour leur Département.
Gilles Lagarde et Jean-Marie Martino
4 questions à Anne Jestin
Directrice générale des services de la Métropole de Lyon, mon arrivée s’est faite dans le contexte de l’élection au suffrage universel direct des conseillers métropolitains de cette collectivité à statut particulier créée par la loi MAPTAM. Depuis 2020, la Métropole de Lyon conjugue donc sur son territoire deux légitimités démocratiques, celle des Maires et celle du Président de la Métropole.
Cette collectivité réunit sur le territoire de la Métropole de Lyon (soit 59 communes) les compétences du Grand Lyon (compétences urbaines) et du Département du Rhône (compétences sociales).
Le projet de territorialisation de l’administration dont je souhaite parler s’inscrit dans ce contexte. Il répond à un enjeu particulièrement fort de proximité pour cette Métropole aux compétences nombreuses et au statut unique, qu’il fallait incarner tant au niveau des habitants, des communes, mais aussi des agents. Nous avons ainsi été amenés à penser la proximité au sein de cette institution nouvelle dont le modèle est encore en définition.
Il s’agissait donc de rapprocher des services qui étaient déjà territorialisés en regroupant les métiers et compétences au sein de même directions territoriales, en introduisant de la transversalité et en permettant une lecture territorialisée des politiques publiques de la Métropole de Lyon. Ce projet d’ampleur embarque 4600 agents, soit la moitié des effectifs de la Métropole de Lyon.
Quels étaient les objectifs recherchés ?
Ce projet de territorialisation est parti du constat d’une organisation territoriale passée qui se situait dans un entre-deux, entre une organisation totalement centralisée et une organisation véritablement territorialisée. Notre objectif principal a donc été de renforcer la territorialisation de l’action publique à travers un projet de réorganisation pragmatique de notre administration métropolitaine. Celle-ci se traduit par un découpage territorial organisé autour de 9 Directions Territoriales accueillant des équipes des services urbains et des solidarités sous l’autorité unique d’un Directeur de territoire.Cette première réorganisation des services territorialisés est opérationnelle depuis mars 2022.
La territorialisation permet de répondre aux enjeux politiques fixés par le nouvel exécutif à savoir : rendre la Métropole visible et compréhensible sur le territoire, autant pour les usagers que pour les communes et partenaires, permettre une meilleure réponse, plus fluide et immédiate aux services de la Métropole, garantir une égalité et une solidarité de traitement entre territoires, construire sur les territoires des projets permettant d’expérimenter une nouvelle relation aux usagers.
Trois principes ont présidé à la démarche :
• Renforcer la relation aux territoires et à ses acteurs (conférences territoriales des maires, communes,partenaires et usagers) afin de disposer d’un interlocuteur unique bien identifié (le ou la directeur.trice de territoire), pour structurer et réguler les échanges à double sens entre les territoires, les directions métiers et les directions ressources ;
• Territorialiser les politiques publiques etnous permettre ainsi de traiter de manière coordonnée les projets et les problématiques des territoires en matière d’action publique mais également en matière de ressources et de modes de travail. L’ambition est également de faciliter l’accès des partenaires du territoire à l’ensemble des compétences et services de proximité de la Métropole de Lyon, les directions de territoire constituant un interlocuteur unique, porte d’entrée privilégiée des acteurs du territoire sur les questions du social et de l’urbain ;
• Territorialiser les services métropolitains en créant des directions de territoire transversales avec un poids plus important, et en rassemblant différents métiers sous une même direction territoriale.
Quel a été le résultat à la fin du processus ?
J’ai souhaité adopter une approche prudente, pragmatique et progressive qui s’inscrive dans la durée pour accompagner le changement culturel et organisationnel que représente ce projet pour les agents, le rapprochement des services urbains et sociaux n’avait rien d’évident. J’ai souhaité que cette mise en œuvre puisse se faire rapidement, pour asseoir les bases du projet et l’inscrire dans une trajectoire sur le temps long, qui aboutira à une territorialisation finalisée dans les années à venir, si le bilan de cette première phase s’avérait positif.
Cette première phase du projet a donc permis d’aboutir en 12 mois à la création de 9 grandes directions territoriales réunissant les 4300 agents de la voirie, de la collecte, du nettoiement, de la protection de l’enfance, des personnes âgées et les personnes handicapées, de l’accompagnement social, de la protection maternelle et infantile (0-3 ans), de l’entretien des collèges et du fonctionnement des cantines.
On ne peut donc pas parler à ce jour de fin de processus de territorialisation, mais plutôt d’une première phase, qui sera évaluée, avant de réfléchir à un éventuel approfondissement de cette territorialisation.
Quel a été votre rôle et vos responsabilités ?
J’ai souhaité que la démarche soit effectuée sous un principe de souplesse, nous permettant d’adapter à chaque phase le projet, en lien avec les besoins et les ressources, tant en interne que par rapport aux acteurs extérieurs.
D’un point de vue managérial, cette démarche a été lancée dans un premier temps par la direction générale, avec un pilotage resserré à mon niveau pour permettre une agilité dans les orientations données au projet. Puis rapidement nous avons fait le choix de mettre en responsabilité le binôme constitué de la direction de territoire et de sa direction adjointe pour élaborer et mettre en œuvre le projet de service sur les territoires. Nous avons mis à disposition des directrices et directeurs des outils d’accompagnement managérial (codéveloppement, coaching).
De la structuration à la mise en œuvre, nous avons mobilisé les ressources nécessaires à l’aboutissement de ce projet, tant en interne par la désignation d’une équipe projet dédiée qu’en externe, au travers du recours à une AMO pour l’élaboration des différents scénarios de territorialisation.
En tant que DGS, j’ai été particulièrement attentive tout au long du projet à l’acceptation par les équipes en place, c’est pourquoi il était pour moi indispensable que les équipes de l’ancienne organisation trouvent toute leur place dans la nouvelle. Une fois toutes les personnes positionnées, nous avons ouvert le recrutement à l’externe pour bénéficier d’une approche et d’un regard nouveaux.
Le conseil de lecture de l’invité :
Quel livre fait références pour vous dans le domaine du management ?
Un livre m’a fortement inspirée dans ma vie : l’Art de la Joie, de Goliarda Sapienza. Une ode à la liberté, au rejet des conventions, qui doivent être recherchée selon moi autant dans la vie privée que dans la vie professionnelle. Ce livre m’évoque plusieurs choses :
Le respect de la liberté de chacun dans l’accomplissement de ses tâches est une notion complexe, qui peut aider, en management, à libérer les individus, à libérer la créativité de chacun. L’inscription d’une action collective dans un cadre administratif peut parfois être enfermant. C’est pourquoi, comme manager, j’essaye de favoriser les initiatives individuelles ou collectives, le management par le résultat. Elle passe aussi par la confiance en la capacité de l’autre à s’investir dans le projet, évidemment par le suivi de l’action et la valorisation des réussites individuelles et collectives.
La recherche du sens, de l’idéal : ce livre m’a personnellement beaucoup marquée sur la quête d’absolu de Modesta, le personnage principal. Il m’inspire aussi dans le milieu professionnel où il est évident que l’individu ne peut se mettre en action dans un groupe que s’il trouve dans cette action un intérêt individuel fort. Cet intérêt, cette motivation,peuvent faire écho à des dynamiques très individuelles : je suis valorisé dans mon travail, je me sens utile, j’apprécie mes collègues et mon bureau… mais également par des enjeux plus sociaux et environnementaux : je suis fier de participer à des projets de tiny houses, j’aide à la mise à l’abri de personnes dans le besoin, j’aime travailler sur la politique vélo, l’amélioration de la qualité de l’air, la protection de la ressource en eau etc.
La capacité à ne pas douter, à décider, celle aussi de se remettre en question. Le parcours de cette jeune femme dans la première moitié du XXème siècle dans une Italie divisée est inspirant dans sa capacité à décider de son chemin, à faire des choix éclairés, à les assumer aussi. Être manager implique souvent d’arbitrer entre des enjeux contradictoires, parfois de se tromper aussi, et de savoir tirer les enseignements de ses erreurs.