I – 19383 MNA au 31 décembre de l’année 2021 :
+ 19% en un an, mais 30% de moins par rapport aux années avant COVID
Selon le rapport annuel d’activité 2021 de la mission MNA (Ministère de la Justice, DPJJ) :
« L’année 2021 a vu une augmentation sensible des arrivées de mineurs migrants en Europe, notamment à partir du second semestre. Les restrictions de déplacements, liées au début de la crise sanitaire en 2020, toujours perceptibles en début d’année, se sont assouplies, favorisant une réactivation des routes migratoires et l’arrivée plus nombreuse de MNA à partir de l’été 2021.
Ainsi, le nombre de MNA ayant bénéficié d’une mesure de protection en France marque une progression de près de 19 % par rapport à l’année précédente où était enregistrée une très forte diminution des arrivées (- 43 %). Cette évolution demeure cependant encore éloignée de l’affluence des années antérieures à la crise sanitaire liée à la Covid-19. Les prises en charge en 2021 sont inférieures d’environ 30 % à celles enregistrées dans les années 2019 et 2018.
Ainsi, le nombre de MNA accueillis par les départements au titre de la protection de l’enfance et toujours pris en charge au 31 décembre de l’année 2021 est de 19 893 jeunes. »
II – Un risque accru en matière de « contrats jeunes majeurs » ?
Même si les chiffres sont sans commune mesure moins élevés, il faudra sans doute compter à l’avenir avec la progression des dépenses des départements en matière de « contrats jeunes majeurs ».
La loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, en effet, complétant celle du 14 mars 2016, a entendu renforcer la qualité de la prise en charge des MNA et le soutien de l’État aux départements qui assurent la mise à l’abri, l’accueil et l’insertion de ces jeunes migrants sans protection de leur famille sur le territoire national.
Mais elle a eu également pour objectif de garantir à tous les jeunes majeurs la continuité des mesures de protection, ce qui s’est traduit par une modification de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles, désormais ainsi rédigé :
« Sont pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance sur décision du président du conseil départemental : (…) 5° Les majeurs âgés de moins de vingt et un ans et les mineurs émancipés qui ne bénéficient pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants, lorsqu’ils ont été confiés à l’aide sociale à l’enfance avant leur majorité, y compris lorsqu’ils ne bénéficient plus d’aucune prise en charge par l’aide sociale à l’enfance au moment de la décision mentionnée au premier alinéa du présent article.
Peuvent être également pris en charge à titre temporaire, par le service chargé de l’aide sociale à l’enfance, les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui ne bénéficient pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants.
Un accompagnement est proposé aux jeunes mentionnés au 1° du présent article devenus majeurs et aux majeurs mentionnés au 5° et à l’avant-dernier alinéa, au-delà du terme de la mesure, pour leur permettre de terminer l’année scolaire ou universitaire engagée ».
Cette modification législative n’est pas sans conséquence sur les droits vis-à-vis des départements, des ex-MNA, devenus « jeunes majeurs » à l’âge de 18 ans et jusqu’à leurs 21 ans.
Et ces droits nouveaux ont un coût.
Le département de l’Essonne en a fait très récemment l’expérience à l’occasion d’un contentieux, qu’il vient de perdre, engagé selon la procédure du référé-liberté (article L.521-2 du CJA ) par une jeune femme ivoirienne de 19 ans, enceinte de 5 mois.
Les faits et la procédure étaient les suivants :
Mme B…, ressortissante ivoirienne née le 12 août 2003, entrée en France en 2016, avait été confiée par le Procureur de la République le 28 janvier 2019 au service de l’aide sociale à l’enfance du département de l’Essonne. Elle avait bénéficié de la part de ce dernier, à sa majorité, d’un contrat jeune majeur jusqu’au 12 août 2022.
Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : » Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (…) « .
Fondé sur les articles L.221-1 et L.221-5 du CASF, c’est un dispositif d’accompagnement pour permettre au jeune majeur de trouver du travail (ou une formation) tout en ayant la possibilité de se loger et de subvenir à ses besoins, si sa famille n’est pas en capacité de le faire. Il peut consister en :
• une participation financière sous la forme d’une allocation variant en fonction de tes ressources
• une aide à domicile par un éducateur et/ou un psychologue, par exemple.
• les dépenses courantes et l’hébergement à titre temporaire par les services de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE). Cette prestation s’appelle « Accueil provisoire jeune majeur ».
Toutefois, par une décision du 7 septembre 2022, le département avait refusé de renouveler cette prise en charge, ce que la jeune majeure avait contesté devant le juge des référés du tribunal administratif de Versailles sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.
Mme B. demandait que l’exécution de cette décision du département soit suspendue et qu’il soit enjoint au département de réexaminer sa demande de renouvellement de contrat de jeune majeur et de lui assurer une solution d’hébergement et une prise en charge adaptée à son état de santé dans un délai de 24 heures, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.
Le juge des référés du TA de Versailles ayant rejeté la demande de Mme B, par une ordonnance du 6 octobre 2022, la requérante avait saisi le Conseil d’Etat, juge d’appel (et non de cassation) en matière de référé-liberté.
Pour annuler l’ordonnance du premier juge, le juge des référés du Conseil d’Etat a raisonné en deux temps :
- Il a tenu, d’abord, pour avérée l’argumentation de la requérante concernant sa situation personnelle : « Il résulte de l’instruction que Mme B…, aujourd’hui âgée de 19 ans, suivie au centre médico-psychologique de Thiais et enceinte de cinq mois, est dépourvue de soutiens familiaux en France, sans ressources, actuellement sans domicile fixe et logée de manière ponctuelle et précaire à l’hôtel par les services du service intégré de l’accueil et de l’orientation du Val de Marne. Dans ces conditions, au regard de l’extrême vulnérabilité de Mme B…, et alors même que le département fait valoir que la Fondation Rothschild à Chevilly-Larue où elle était hébergée a déclaré ne plus pouvoir la prendre en charge en raison de son comportement et du caractère inadapté de cet hébergement à sa personnalité et qu’elle aurait refusé une proposition d’accueil dans une maison d’accueil prénatal, la condition d’urgence doit, en l’état de l’instruction, être regardée comme remplie. »
- Il a considéré ensuite, au vu de la nouvelle rédaction de l’article L.222-5 du CASF, que le refus du département de renouveler le contrat jeune majeur constituait une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale : « Il résulte des dispositions précitées de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles que, depuis l’entrée en vigueur du I de l’article 10 de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants dont elles sont issues, les jeunes majeurs de moins de vingt et un an ayant été pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance d’un département avant leur majorité bénéficient d’un droit à une nouvelle prise en charge à titre temporaire par ce service, lorsqu’ils ne disposent pas de ressources ou d’un soutien familial suffisant. Le département de l’Essonne qui, ainsi qu’il a été dit, a pris en charge Mme B… au titre de l’aide sociale à l’enfance jusqu’à sa majorité, est, dès lors qu’il est constant qu’elle ne bénéficie d’aucun soutien familial ni d’aucune ressource ni d’aucune solution d’hébergement présentant le minimum de stabilité que nécessite son état de grossesse, légalement tenu de poursuivre cette prise en charge. ( …) Par suite, Mme B… est fondée à soutenir que la décision du département de l’Essonne de cesser sa prise en charge au titre des dispositions du 5° de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles porte, en l’état de l’instruction, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et qu’il y a lieu d’en suspendre l’exécution. »
Autrement dit, du fait de cette ordonnance, pèse désormais sur l’ensemble des départements un très grand risque : celui de se voir contraints de prolonger la prise en charge, de façon quasiment automatique, des MNA ayant atteint l’âge de 18 ans, en leur consentant un contrat jeune majeur dès lors qu’ils ne disposent pas de ressources suffisantes et d’un logement satisfaisant.
L’arme du référé-liberté est, en effet, redoutable : elle est d’un maniement simple et permet d’obtenir des résultats rapides.
Les départements doivent s’attendre à une multiplication de ce type de procédure et devront développer, à l’appui de leurs décisions de refus de conclure un contrat jeune majeur ou d’en accepter le renouvellement, une motivation solide justifiant, par exemple, l’absence de projet professionnel sur le court terme, l’absence de sérieux dans le suivi de la formation, ou encore le non-respect du projet établi entre le jeune et l’Aide Sociale à l’Enfance…
Dans la pratique, ce ne sera certainement pas simple !
Je ne souhaite qu’une chose : un démenti par les faits de ce commentaire de décision pessimiste.