Tribune par Philippe Gouet, Président du Conseil départemental de Loir-et-Cher
« Culture populaire » : l’expression renvoie à cette somme de pratiques, de références et de repères qui, au fil du temps, solidement ancrés dans notre espace collectif, contribuent à construire et perpétuer une identité commune. Si rien n’est jamais intangible et que la « tradition » ne saurait être source d’inertie, attention cependant de ne pas sous-estimer, chez nos concitoyens, cet attachement légitime à des gestes ou à des rendez-vous qui sont autant de « marqueurs » sociétaux.
Souvenons-nous ainsi des polémiques nées de propos moralisateurs assénés par quelques âmes faussement révoltées, quand il s’agissait ici de dénoncer le Tour de France, là de sacrifier les sapins de Noël ou ailleurs d’exclure « l’aérien » du rêve des enfants.
La brutalité n’est jamais bonne conseillère, le dogmatisme non plus.
La remarque peut sans doute s’appliquer à certains débats autour de la Coupe du monde de football dont le coup d’envoi sera donné à la fin du mois. J’y reviendrai.
Comme président du conseil départemental de Loir-et-Cher, je mesure chaque jour la nécessité d’un contact permanent avec nos concitoyens, au risque de passer à côté de ces signaux, réactions ou questionnements qui « font » l’opinion, loin des oukases venus d’en haut.
Au cœur d’une époque qui n’affectionne guère l’esprit de nuance, il me semble en effet indispensable de construire ses arbitrages à l’aune d’une confrontation saine et respectueuse de chacun, s’inspirant du bon sens, issu de réalités souvent complexes du terrain.
La pédagogie ne désigne pas un processus vertical mais bien un échange assumé qui vise à emporter la conviction plutôt qu’à culpabiliser celui qui pense différemment.
Ainsi, le futur Mondial de football organisé au Qatar donne lieu depuis plusieurs semaines à de ridicules appels au boycott qui frôlent parfois l’anathème.
Que les choses soient très claires : l’enjeu des droits humains ou le défi environnemental ne sont pas négociables et soulever ces questions structurantes est parfaitement légitime.
Mais où étaient en 2010 les donneurs de leçons de 2022 ? Ne fallait-il pas s’interroger lorsque, précisément, est intervenue la désignation du Qatar en tant que pays hôte ?
Aujourd’hui, à quelques heures du lancement de cette compétition planétaire, il faudrait donc renoncer à suivre ces matchs sous peine d’être taxé de complicité de pollution environnementale et de complaisance avec un régime devenu infréquentable. En cohérence, va-t-on mettre un terme à tout lien économique, stratégique ou militaire avec Doha ou bien se contenter d’interdire au « petit peuple » d’assister aux retransmissions cathodiques, juste le temps d’un tournoi sportif ?
À notre niveau, celui du département, territoire de proximité par excellence, se règlent notamment les dossiers liés aux solidarités, au handicap, à l’éducation, à l’environnement… : chaque visite, chaque rencontre, est source d’un dialogue franc, toujours éclairants, tel un remède absolu contre le simplisme ou la caricature mais surtout loin de toute hypocrisie.
Or, ce que je tire de mes déplacements récents, c’est que les Français sont très majoritairement en attente de ce spectacle planétaire qui, tous les quatre ans, rime avec émotion, engouement, plaisir mais aussi convivialité et partage.
Les placer en position d’accusés potentiels, coupables de « pollution par destination » dans l’ultime ligne droite avant le début de cette épreuve, c’est jeter à bon compte un voile pudique sur les vrais décideurs et c’est faire fi de décisions originelles auxquelles ils n’ont assurément pas été associés.
C’est une vraie composante de la « culture populaire » qu’on prétend ainsi bousculer, museler, comme pour mieux dissimuler un mécanisme politique vieux de dix ans, mais que certains esprits faussement offusqués semblent aujourd’hui découvrir.
Une fois de plus, on a le sentiment que cohabitent plusieurs France : d’un côté, celle des grandes métropoles d’où surgissent des mots d’ordre « chimiquement purs » – ce qui les rendraient impératifs et supérieurs – et de l’autre, celle, périphérique et populaire, qui ne se voit pas vraiment boycotter un événement dont elle n’a en rien défini le cadre mais auquel elle demeure par ailleurs très attachée.
Souvenons-nous de Nietzche : « La culture, c’est avant tout une unité de style qui se manifeste dans toutes les activités d’une nation ». À méditer. Y compris après le Mondial…