Edito :
Notre invité du mois : Xavier Barrois, directeur général des services du Département de la Côte-d’Or depuis janvier 2014. Homme de territoires, Xavier Barrois a effectué une première partie de sa carrière au ministère de l’intérieur, où il fut notamment en charge de la départementalisation des services d’incendies et de secours à la Direction de la sécurité civile, et dans le corps préfectoral, comme directeur de cabinet du préfet du Var, administrateur des îles du Vent en Polynésie française puis secrétaire général de la préfecture du Haut-Rhin. Il fut également conseiller technique institutions locales auprès de Philippe Richert, ministre chargé des collectivités territoriales.
Dans cet entretien, Xavier Barrois revient sur les conditions dans lesquelles se sont effectués les transferts de compétences entre le Département de la Côte-d’Or et la Métropole de Dijon suite à la loi NOTRé de 2015. Les enseignements qu’il en tire sont très riches en termes de management : nécessité d’assurer la cohésion de l’équipe, du « pack départemental », par le partage de l’information, l’intelligence collective, le management par la confiance et la bienveillance. Et dans la difficulté, la devise du Cadre Noir de Saumur reste toujours d’actualité : « calme, en avant et droit » !
Gilles Lagarde et Jean-Marie Martino
Quelle est l’expérience de management ou de conduite du changement qui vous a le plus marqué(e) dans votre carrière ?
Ma plus importante expérience de ces dernières années a indéniablement été causée par les conditions difficiles des transferts de compétences du Département de la Côte-d’Or à Dijon Métropole, en application de la loi NOTRé du 7 août 2015. La Côte-d’Or a été le seul département où la Métropole dijonnaise, créée par un décret publié entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2017, a demandé le transfert de l’intégralité des compétences citées par cette loi (article L. 5217-2 IV du Code général des collectivités territoriales). Pour mémoire, il s’agit des routes incluses dans le périmètre métropolitain, du tourisme et de la culture en tout ou partie et des éventuels équipements sportifs, de compétences sociales : les missions dévolues au « service départemental d’action sociale », appellation devenue désuète au regard de la réalité du travail social, ce que la suite des événements allait démontrer, le Fonds social logement, les aides aux jeunes en difficulté, la prévention spécialisée, l’adaptation au territoire métropolitain du programme départemental d’insertion, certaines actions sociales en direction des personnes âgées (excluant toutefois les prestations légales d’aide sociale). Tous ces transferts sont de droit si la Métropole les demande. Il est également possible de transférer la gestion des collèges mais uniquement si le Département le souhaite, ce qui n’a pas été le cas en Côte-d’Or.
La difficulté est vite apparue dès les premiers contacts entre les équipes de direction générale en septembre 2017. Mon homologue métropolitain m’a expliqué que l’objectif de sa collectivité était de franchir une première étape, aussi large que possible, vers le « modèle lyonnais » qui a organisé une partition territoriale entre le Département et la Métropole. Le problème était que ce n’est pas ce que prévoit la loi, mais l’objectif politique et administratif de la métropole était clairement indiqué !
Quels étaient les objectifs recherchés ?
Pour le Département de la Côte-d’Or, l’enjeu était triple :
Eviter de se voir progressivement emporté dans une évolution conduisant à moyen terme à la disparition du Département sur tout le périmètre de l’agglomération dijonnaise ;
Préparer et négocier les transferts de compétences pour ne pas mettre à mal la cohérence et l’efficacité des politiques publiques dans l’agglomération, spécialement dans le secteur social, mais aussi dans la gestion des infrastructures routières aux limites de nos domaines publics respectifs ;
Maintenir la cohésion de l’encadrement et des équipes, à un moment où les agents départementaux en poste dans les secteurs concernés s’inquiétaient des conditions futures d’exercice de leurs missions.
Quel a été le résultat à la fin du processus ?
J’aurais bien aimé le connaître au moment où il a commencé ! Nous savions que la loi prévoyait un délai de 18 mois (juillet 2017-décembre 2018) pour tenter de parvenir à un accord entre le Département et la Métropole sur le périmètre des compétences transférées et les charges correspondantes. Après quoi, faute d’accord, c’était au Préfet de régler les conditions des transferts.
Nous n’avons jamais pu parvenir à un accord avec Dijon Métropole. Celle-ci avait une interprétation du contenu des compétences sociales visées par la loi de 2015 très éloignée de celle du Département. Le Préfet a donc mandaté son secrétaire général pour une série de réunions de négociations afin de tenter de dégager autant de consensus et de compromis que possible. Il a également fait appel aux analyses de la Direction générale des collectivités locales (DGCL) pour clarifier les points de droit litigieux, qui étaient nombreux. A partir de janvier 2019, le Préfet a dû faire appel à nouveau à la DGCL, puis, après en avoir échangé avec les Présidents du Département et de la Métropole, la ministre déléguée en charge des collectivités territoriales a envoyé un président honoraire de Chambre régionale des Comptes pour évaluer la situation et proposer une solution de règlement
Ce qui nous a beaucoup aidé tout au long de cette période difficile qui a tout de même duré deux ans et demi, c’est la cohésion interne du Département. Entre les élus, en particulier notre Président François Sauvadet et l’équipe de la Direction générale, il y avait une identité totale de vues, un partage constant d’analyses et une parfaite articulation entre les discussions politiques et techniques. Cette même cohésion a existé au sein de l’encadrement et en direction des agents. Nous avons expliqué aux équipes comme aux organisations syndicales l’état de la situation, le contenu des discussions en cours, les questions qui se posaient. Nous avons toujours rappelé les objectifs que le Département poursuivait : maintenir la cohérence et l’efficacité de nos politiques publiques au service des usagers, sur tout le territoire départemental. Nous nous sommes appuyés sur la qualité du service rendu en mettant en valeur le travail des agents, pour démontrer à l’Etat les risques de la partition déséquilibrée des actions sociales qu’aurait entraîné la conception métropolitaine. Enfin, avec notre Président et nos élus, l’équipe de la Direction générale est restée soudée, on travaillait en pack, en collectif et chacun à son poste, comme au rugby, et on n’a rien lâché !
Au final, les arbitrages rendus par l’Etat ont préservé la cohérence des politiques sociales portées par le Département. Seulement 5% des actions sociales ont été transférées à la Métropole et le montant financier des charges transférées a été fixé à 4,5 M€, y compris pour les routes. Ces transferts ont été réalisés en 2020, mais en juin, car la Métropole n’était pas tout à fait prête, elle s’attendait à des transferts de services beaucoup plus importants..
Quel a été votre rôle et vos responsabilités ?
J’ai vécu cette expérience comme un capitaine d’équipe, mais sans les piliers que représentaient chacun des DGA et des Directeurs, sans leurs collaborateurs qui ont travaillé en permanence dans l’échange, je pense que le résultat aurait pu être différent. Bien sûr, les contacts de notre Président avec les ministres ont été déterminants. Au début, quand les conditions juridiques et politiques paraissaient incertaines voire contraires, il a fallu rassurer et faire partager la résolution que je ressentais, parce que j’étais sûr qu’il était possible d’inverser la tendance. Ensuite, avec les DGA, nous avons fait preuve d’une vigilance permanente, et nous avons anticipé chaque point dur de la négociation en préparant les arguments techniques, les chiffres pertinents. Nous avons beaucoup échangé nos points de vue, fait preuve d’intelligence collective pour ne laisser aucun point dans l’ombre ou exposé aux risques du hasard. Et nous avons bien vu que cette cohésion était moins nette dans l’équipe métropolitaine.
Quels enseignements en tirez-vous ?
Deux points principaux : dans une négociation difficile, loin d’être gagnée d’avance, face à un partenaire de négociation qui ne cherche pas une solution équilibrée mais à maximiser son avantage, il faut être calme et résolu, solide sur ses bases, ce qui nécessite à la fois force de caractère et sérieux dans la préparation. Le deuxième point, c’est que le management par l’exemple et par la bienveillance que l’on pratique au quotidien produit des résultats merveilleux pendant un long coup de tabac comme celui-ci. C’est toute une équipe qui adhère par la confiance
Ce qui nous a beaucoup aidé tout au long de cette période difficile qui a tout de même duré deux ans et demi, c’est la cohésion interne du Département. Entre les élus, en particulier notre Président François Sauvadet et l’équipe de la Direction générale, il y avait une identité totale de vues, un partage constant d’analyses et une parfaite articulation entre les discussions politiques et techniques. Cette même cohésion a existé au sein de l’encadrement et en direction des agents. Nous avons expliqué aux équipes comme aux organisations syndicales l’état de la situation, le contenu des discussions en cours, les questions qui se posaient. Nous avons toujours rappelé les objectifs que le Département poursuivait : maintenir la cohérence et l’efficacité de nos politiques publiques au service des usagers, sur tout le territoire départemental. Nous nous sommes appuyés sur la qualité du service rendu en mettant en valeur le travail des agents, pour démontrer à l’Etat les risques de la partition déséquilibrée des actions sociales qu’aurait entraîné la conception métropolitaine. Enfin, avec notre Président et nos élus, l’équipe de la Direction générale est restée soudée, on travaillait en pack, en collectif et chacun à son poste, comme au rugby, et on n’a rien lâché !
Au final, les arbitrages rendus par l’Etat ont préservé la cohérence des politiques sociales portées par le Département. Seulement 5% des actions sociales ont été transférées à la Métropole et le montant financier des charges transférées a été fixé à 4,5 M€, y compris pour les routes. Ces transferts ont été réalisés en 2020, mais en juin, car la Métropole n’était pas tout à fait prête, elle s’attendait à des transferts de services beaucoup plus importants…