Portrait
Valérie Simonet
Présidente du Département de la Creuse
Nous arrivons à l’Hôtel des Moneyroux, siège du Conseil départemental. Superbe et ancien bâtiment dont la construction a débuté en 1447 pour la partie la plus ancienne. Il illustre parfaitement la transition qui s’opère à cette époque entre le gothique flamboyant et la Renaissance et plus précisément entre le logis médiéval et l’habitation Renaissance
Simplicité et détermination
On nous accompagne par un escalier ancien, en colimaçon, aux marches inégales.
Le bureau de Valérie Simonet est situé, lui aussi, dans une pièce imposante aux murs épais. C’est très beau et très impratique !
La Commission permanente se termine avec un débat qui traîne en longueur sur la démographie médicale. Sujet d’importance pour les élus départementaux comme pour les habitants de la Creuse.
Valérie Simonet, arrive, souriante, simple. Elle a le don de mettre ses interlocuteurs en confiance. Nous nous sentons tout de suite à l’aise. Nous souhaitons qu’elle nous parle d’elle, du département de la Creuse, de ses passions, de sa vision.
Rapidement nous constatons qu’elle connaît bien ses dossiers, sans ostentation, n’hésitant pas à demander un détail ou un chiffre à un de ses collaborateurs.
Elle parle bien de ce territoire. Sans emphase, mais avec détermination.
Immédiatement on comprend qu’elle refuse la fatalité d’une France rurale condamnée à disparaître. Mieux, elle transforme la taille du département en force et la modestie du budget départemental en opportunité. Ces prétendues faiblesses nous obligent, affirme-t-elle, à l’inventivité, à développer des initiatives.
« Dans un département hyper-rural, il faut donner une image résolument positive, définitivement moderne. Il faut innover. »
L’innovation paraît bien résumer l’élan donné au Département dans les différentes politiques, mais aussi en interne. Par exemple la « Cellule Habitat », structure unique et pluridisciplinaire, qui met en œuvre les Programmes d’Intérêt Général « Autonomie » et « Précarité énergétique », habitat indigne.
C’est très astucieux ! Une réponse efficace à l’habituelle dispersion dans ce secteur où les différents acteurs travaillent en silo, sans réelles concertations. Ce dispositif a été mis en place avec l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) et les intercommunalités dans l’objectif d’améliorer le parc de logements privés existants.
Tout seul, on va plus vite, ensemble on va plus loin.
Il semble en effet que la coopération est le maître mot dans ce département. Loin des guéguerres et des rivalités d’égo. « On fait mieux ensemble, et c’est la force d’un département comme la Creuse » affirme Valérie Simonet. Peut-être une spécificité féminine ?
On retrouve aussi cette démarche dans le secteur des solidarités où ont été fusionnés le schéma du Conseil départemental et celui piloté par la CAF, regroupant ainsi des thématiques extrêmement transversales. Ce document unique permet une vision d’ensemble des politiques à destination des familles sur le territoire creusois. Il est co-piloté par le Département, la CAF et l’Etat.
Sans doute parce qu’elle a vu, comme infirmière, la réalité de la vie des personnes âgées à domicile, elle a initié de nombreuses actions pour leur simplifier la vie : pack domotique, allo Répit, rapprochement SAAD / SSIAD…
Séduire les habitants des grandes villes.
Elle rêve d’attirer des habitants des villes dans son département. Et a, du reste, lancé une opération de séduction à Paris (voir page 95).
On l’écoute énumérer les qualités de la Creuse, toutes les raisons de venir s’y installer, d’y habiter. Et soudain elle exprime la vérité du pays. La proximité, l’humanité, l’entraide, la chance de se connaître. Tout un monde si loin de ces villes ou cités déshumanisées. Il y a plus que des richesses patrimoniales ou naturelles ici, il y a une réalité humaine, opportunité fondamentale.
Cette personnalité locale a le terrain creusois chevillé au corps. Elle reste accessible, et tient particulièrement à l’être pour ses anciens patients. Son tempérament donne une nouvelle dynamique au département de la Creuse.
Cité internationale de la tapisserie et de l’art tissé.
Elle évoque cette Cité dont elle est présidente. Reconnue patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO, la tapisserie d’Aubusson est au cœur d’un projet ambitieux mêlant patrimoine, création contemporaine et développement économique.
On sent de l’enthousiasme dans sa voix. Elle aime la tapisserie, cet art de création, moderne, confrontation des styles, des époques et des lieux. Du reste les murs de son bureau sont ornés de tapisseries modernes.
L’une d’elles reprend les termes de l’article 1er de la déclaration des droits de la femme d’Olympe de Gouge en 1791 « La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Elle en fait sa devise, dans son travail, au quotidien, dans ses relations sociales. Sans agressivité mais avec certitude et persévérance. Une évidence qui doit être rappelée.
Chaleureux, simple, proche.
Et elle nous emmène visiter la Salle des plénières. C’est chaleureux, simple, proche. Au mur deux tapisseries de Jean Picart Le Doux, disciple de Jean Lurçat et auteur de plusieurs centaines de tapisseries.
Chacun des dossiers des fauteuils des conseillers départementaux est revêtu d’une tapisserie aux armes de son canton. Bien sûr avec le redécoupage des cantons, cela ne coïncide plus vraiment ! Le dossier de la Présidente porte les armoiries de la Marche.
Encore une fois, elle insiste ; « nous voulons transformer nos faiblesses en forces. Mettre l’humain au cœur de notre département. » Et ces atouts humains, il faut les faire connaître !
C’est bien l’objet de ce dossier spécial dans Le Journal des départements !
Grand entretien
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Infirmière libérale depuis 1989, je suis passionnée par mon travail. Je continue d’ailleurs de l’exercer dès que j’en ai la possibilité.
En 2001, le maire de ma commune me sollicite pour être sur sa liste, bien que je n’y connaisse rien à l’époque ! Nous sommes élus et il me demande d’être sa première adjointe en dépit de mon inexpérience d’élue locale.
A l’époque, nous n’étions pas en intercommunalité, mais je me renseigne et je discute avec les élus des communes voisines. Nous intégrons un EPCI en 2002. Je deviens maire de Bussière Nouvelle en 2008 et vice-présidente de la Communauté de communes d’Auzances-Bellegarde, présidente d’un pays qui faisait un tiers du département. Ces responsabilités m’ont permis de beaucoup apprendre sur les politiques publiques, comment s’articuler avec l’innovation et le mode projet. J’y ai tiré une force, mais aussi une vision que j’ai pu probablement transmettre à d’autres collègues.
J’ai aussi été suppléante du député Jean Auclair à l’époque où il y avait encore deux circonscriptions législatives dans notre département, de 2007 à 2012. Cette suppléance m’a permis de parcourir la circonscription d’Aubusson, à la fois à ses côtés, mais aussi pour le représenter dans des cérémonies.
J’ai été élue au Conseil général en 2004. J’étais la seule femme de l’Assemblée départementale ! Je siégeais alors dans l’opposition mais j’étais plutôt en retrait car les échanges en séance publique étaient parfois très durs dans ce monde d’hommes. La parité a vraiment changé positivement les choses sur ce point !
Nous les femmes, a fortiori engagées en politique, on ne prend pas la parole pour ne rien dire et on travaille beaucoup ! Quand on s’exprime, on s’appuie sur des réalités et notre expérience pour soulever des problèmes et apporter des solutions pour les habitants de nos territoires.
Je pense que tout cela est une illustration du renouveau.
J’ai mené la campagne en 2015 en tête de pont avec mes collègues et les Creusois ont adhéré à notre démarche. Cela s’est d’autant plus illustré en 2021 car nous avons remporté un canton supplémentaire.
Mon élection à la présidence en 2015 était plutôt une surprise. Je ne m’y attendais pas car notre département est plutôt ancré à gauche et nous ne pensions pas obtenir la majorité.
Vous accédez donc à la Présidence du département en 2015. Quel était votre état d’esprit ?
Ce fut un vrai choc car je n’allais plus pouvoir continuer à travailler comme avant. Ce fut d’autant plus compliqué que ma collègue infirmière était en congé maternité d’avril à août et j’ai donc dû cumuler les deux fonctions… J’ai vite compris que cela n’était pas possible…
Comment entre-t-on dans la fonction sans même avoir été vice-présidente avant ?
J’ai la chance d’avoir eu des mentors tout au long de mon parcours. Je choisis Gérard Gaudin, ancien président du conseil général fin des années 90, pour premier vice- président, et il va ma prodiguer conseils et sera d’un grand soutien. Il m’explique aussi le rôle de chacun : « nous sommes tes vice- présidents et à nous de te faire remonter des propositions. Mais c’est toi seule qui décidera et assumera les conséquences de tes décisions. »
Vous continuez à exercer votre profession? À quel rythme ?
Je continue d’exercer, un peu par passion, et pour garder un contact avec les personnes auprès desquelles j’ai passé tant d’années. Je fais des remplacements, pas autant que je le souhaiterais, mais tâche de jongler avec mon agenda. Être un élu, ce n’est pas un métier, c’est un CDD, renouvelable… ou pas ! Je voulais en conservant une activité professionnelle, même à temps très partiel, me dire que je n’étais pas accrochée à un mandat par obligation, mais au contraire, savoir que j’avais le libre choix de poursuivre ou pas.Vos patients parlent à la
Présidente du département ? Ils vous interpellent sur des sujets ?
Mon crève-cœur a été de me séparer de patients que j’accompagnais depuis des années, et je suis triste de ne parfois pas les avoir revus, et de constater qu’ils nous quittent au détour d’un avis d’obsèques. Mais lorsque je fais un remplacement, ils me disent être heureux de me revoir, mais qu’ils regrettent de me voir plus souvent dans le journal, qu’en vrai… C’est surtout avec les familles, les aidants, mes collègues infirmières, la coordinatrice du SSIAD…
que nous échangeons sur les sujets d’accès aux soins, de maintien à domicile… que ces personnes me partagent les difficultés rencontrées, et me font des suggestions d’amélioration. Les contacts sont facilités aujourd’hui avec les réseaux sociaux, Messenger, et j’ai souvent plus de messages ainsi, que par des appels téléphoniques sur un répondeur ! Il est d’autant plus facile aussi d’y répondre rapidement et personnellement.
Comment avez-vous géré la crise sanitaire ?
Avec Philippe Bombardier, le DGS, nous avons géré au mieux la qualité des services que nous pouvions maintenir, et les conditions dans lesquelles nous pouvions les maintenir ; au travers notamment de ma vision du terrain. J’avais associé d’ailleurs les organisations syndicales qui ont été un bon relais dans une période compliquée. Il fallait continuer de produire du service en proximité…alors que nous ne pouvions pas être en proximité !
Nous avons réussi à piloter tout cela et nos agents car nous avons été protecteurs envers eux aussi. Cela nous a aussi permis d’être en confiance et de redémarrer plus vite le moment venu.
Votre formation professionnelle est- elle un atout dans l’exercice de votre présidence ?
Quand vous êtes professionnelle de santé, vous avez un état d’esprit particulier. Cela se renforce davantage quand vous êtes en libéral.
Je commençais à 6 heures le matin dans une période où j’avais peu de consœurs ! Vous développez alors une vraie force de travail qui s’appuie sur un engagement et des valeurs que l’on porte au fond de soi. Croyez-moi, pour supporter un 6 heures -21 heures, les week-end, jours fériés et les appels de nuit, il faut être solide ! Cela génère du stress et de la fatigue. Ce rythme de vie vous endurcit et vous donne l’envie de continuer. Sinon, cela signifie que vous n’êtes pas faite pour ça et vous faites autre chose ! Et par ailleurs, contrairement à l’hôpital, vous êtes invitée chez les gens. Il y a la notion de concurrence avec les autres cabinets donc cela vous « formate » car, comme en politique, on ne s’impose pas. Cela vous oblige à gagner la confiance des personnes, et finalement leur respect.
Toutes ses valeurs sont plutôt des valeurs de gauche. Mais vous êtes inscrite à droite…
Cela est un stéréotype ! Quand j’ai souhaité être candidate en 2004 aux élections cantonales, c’était au moment des transferts de compétences sociales aux Conseils départementaux, politiques sociales que je voyais s’appliquer au quotidien chez mes patients. J’avais l’idée que j’avais des choses à dire, et imaginais que je participerai à l’amélioration des situations des personnes âgées souhaitant rester à domicile, ou de celles privées d’emploi, qui percevaient le RMI, avec une vision portée par des valeurs d’équité, d’accessibilité et de solidarité. Rendre les gens plus autonomes, leur donner les moyens qui leur permettre de réaliser leurs choix…
On peut donc dire que vous êtes plus dans l’autonomie que dans l’assistanat ?
Je n’emploie jamais le mot d’assistanat. Le RMI comme le RSA existent car il y a des gens qui ont des parcours plus chaotiques que d’autres, pour plein de raisons.
Sauf, que j’affirme qu’on ne peut pas vivre avec 600 euros par mois ! Je suis persuadée qu’il faut permettre aux bénéficiaires d’accéder à des formations et à des emplois pour qu’ils puissent s’en sortir, élever leurs familles dans de bonnes conditions et faire des libres choix.
Sur ce volet, allez-vous répondre à l’appel à candidature du gouvernement sur l’expérimentation du RSA sous conditions ?
Nous n’avons pas eu de débat en Assemblée départementale sur ce sujet. Le gouvernement reste encore assez flou sur cette expérimentation : une généralisation dans 13 mois et des départements qui pourront expérimenter d’ici là… !
Le courrier du ministre fait aussi état de groupes de travail mais dont les contours sont, eux aussi, assez flous !
Nous sommes un Département où il y a peu d’habitants avec 2300 bénéficiaires du RSA. Je pense qu’il est plus opportun d’expérimenter dans un département connecté et fédéré comme le nôtre qui nous permet de faire des schémas en proximité.
C’est pour cela que nous serons candidats.