La Cour des comptes a réalisé, dans la cadre de l’article 58-2, un travail qui vient éclairer un sujet sensible et prétendument irréformable. Il a déjà permis des rencontres avec les associations d’élus et va désormais faire l’objet de propositions plus politiques de la commission des finances du Sénat, en lien avec une approche plus large de la décentralisation et du respect des libertés locales.
Bien que la situation financière des collectivités locales soit favorable avec un excédent de 4,7 Md€ fin 2021, comme ne cesse de le brandir le Gouvernement pour justifier sa pusillanimité en direction des collectivités, celle-ci se dégrade néanmoins très vite dans le contexte que nous connaissons. En outre, ce résultat global cache des situations très différentes entre les collectivités et entre les territoires. Il n’en demeure pas moins que le système de financement des collectivités locales est fortement critiqué, sur tous les bancs, pour son manque de lisibilité et de prévisibilité.
Les principes qui fondent le système de financement ont perdu de leur sens au fil du temps. Chacun reconnaît que le système est à bout de souffle et constate son obsolescence. Pour autant il convient de ne pas en oublier certains principes et leurs finalités. C’est notamment le cas de la question de l’autonomie financière, composante essentielle du principe de libre administration des collectivités territoriales consacré par la révision constitutionnelle de 2003. Par ailleurs, la péréquation souffre d’un manque d’objectifs clairement définis et évalués.
Enfin, les modalités de compensation des transferts de compétences ont conduit à rigidifier et émietter les transferts de fiscalité au risque d’en altérer la lisibilité.
En dépit d’un consensus sur le diagnostic, les propositions de réformes ne sont pas évidentes. La Cour a examiné plusieurs scénarios d’évolution possible sur lesquelles il nous appartiendra de travailler. Parmi les critères à prendre en compte figurent : la territorialisation des ressources et la capacité des collectivités d’agir, la solidarité pour réduire les inégalités, l’équilibre des finances locales et nationales.
Les options possibles consistent à pousser au maximum une des trois ressources qui s’offre à nous :
– Un financement essentiellement par des ressources locales (impôts locaux, redevances). Elles représentent aujourd’hui 50% des recettes des collectivités (66% pour le bloc communal).
– Un renforcement des impôts nationaux partagés. Ils représentent aujourd’hui 21% des recettes des collectivités (70% pour les Régions et 40% pour les Départements). Il serait nécessaire de prendre en compte les réalités des territoires mais aussi de réduire les inégalités de richesse en privilégiant des critères de charges.
– Une part croissante de dotations de l’Etat. Elles constituent aujourd’hui 26% des ressources locales. Cette option peut représenter une sécurisation des recettes à un niveau adapté aux dépenses, mais rend les collectivités plus dépendantes.
Chacune de ces options présente des limites et peut être différenciée selon le niveau de collectivités. En particulier, l’option de renforcement des ressources locales répondrait bien au critère de territorialisation mais exigerait une péréquation horizontale plus importante entre collectivités afin de réduire les écarts de richesse qui en découlerait. L’objectif est bien évidemment de trouver un équilibre entre autonomie et solidarité selon les niveaux de collectivités. A ce titre, il peut être utile de se comparer aux autres modèles européens qui montrent notamment que le poids de la dépense publique locale en France est plus faible qu’ailleurs confirmant que notre décentralisation reste limitée, même si l’investissement public local est majeur dans notre pays.
Il importe aussi de renforcer la lisibilité de la fiscalité avec un seul échelon responsable. Les ressources doivent ainsi être en adéquation avec les missions exercées. Enfin, les critères de répartition des ressources entre collectivités ne doivent plus être liés à des situations héritées du passé, mais fondés sur les besoins des territoires.
Ainsi, la Cour a élaboré un scénario possible de réforme qui conduit à recentrer la fiscalité locale sur le bloc communal pour plus d’autonomie et de responsabilité, met en place un système plus solidaire de financement des départements pour faire face aux dépenses sociales à partir d’un panier d’impôts nationaux et d’une dotation d’action sociale, et renforce le financement des régions par la fiscalité nationale économique. Il ne s’agit à ce stade que d’un scénario illustratif, un cadre de référence permettant des ajustements.
La répartition de la fiscalité nationale reposerait sur des critères reflétant les caractéristiques sociales et économiques des territoires et non sur la recette collectée localement, afin de contribuer à la réduction des inégalités à la source. Ainsi, l’option qui consisterait à voter un taux additionnel à un impôt national n’a pas été retenue par la Cour, car non corrélée aux charges financières de collectivités. Pour autant, cette piste existe et méritera d’être examinée. Les dotations de l’Etat seraient rationalisées selon trois finalités : assurer la transition vers le nouveau modèle de financement pour les régions, financer l’action sociale pour les départements, assurer l’équilibre financier du bloc communal.
Les conditions de la réforme passent aussi par une gouvernance renouvelée pour structurer le dialogue entre l’Etat, les collectivités locales et le Parlement. Un pacte de confiance fondé sur des engagements réciproques et une simplification pour plus de lisibilité seraient nécessaires pour guider toute évolution du financement des collectivités locales.
Le travail reste à poursuivre en dépassant ce premier cadre avec une concertation approfondie avec les associations de collectivités locales mais aussi en faisant preuve de courage, d’innovation et de clarté.