Edito :Notre invité pour cette rentrée est Bertrand Langlet, Directeur général des services du Département de l’Essonne depuis décembre 2020. Il était auparavant DGS d’Orléans Métropole et avait antérieurement connu deux expériences en Département comme DGA dans les Pyrénées-Atlantiques et comme directeur des affaires sociales dans le Doubs. Aujourd’hui à la tête d’une administration de 4600 agents auprès du Président François Durovray, il nous présente son « projet managérial » avec ses deux objectifs: efficacité opérationnelle et fidélisation des collaborateurs. Son idée novatrice d’élaborer une PPF (programmation pluriannuelle de fonctionnement) en écho au travail plus classique de la PPI nous semble correspondre au besoin des collectivités de se fixer des caps clairs pour réussir leur transformation. En lisant son interview, vous entrez dans la fabrique du DGS : de quoi vous inspirer ! Bonne lecture. Gilles Lagarde et Jean-Marie Martino Gilles Lagarde et Jean-Marie Martino.
Quelle est l’expérience de management ou de conduite du changement qui vous a le plus marqué dans votre carrière ?
Le métier de Directeur Général des Services de collectivité locale conduit par définition à manager des équipes en environnement complexe et chacune de mes expériences professionnelles m’a marqué par ses spécificités. Cela a par exemple été le cas sur la période 2014-2020, avec le pilotage de la transformation en Métropole de la Ville et de la Communauté d’Agglomération d’Orléans.
Les fonctions de DGS de Département offrent en matière de management un « terrain de jeu » particulièrement riche, dans un paysage institutionnel en pleine mutation. Lorsque la contrainte financière tend à s’accroître, le développement d’un management efficient devient une ressource extrêmement précieuse pour dégager des marges de manœuvres.
J’ai dans ce contexte engagé depuis 18 mois une démarche de conduite du changement au sein du Conseil Départemental de l’Essonne.
J’ai hérité à mon arrivée d’une collectivité très structurée, dotée d’un encadrement de haut-niveau et composée d’équipes faisant preuve d’un grand professionnalisme. La culture managériale était fondée sur un processus décisionnel très centralisé, des procédures écrites scrupuleusement respectées et un système de contrôle interne largement développé.
Cette organisation s’est avérée au fil des années très efficace, permettant d’atteindre des résultats probants dans de multiples domaines : conduite rythmée du dialogue social, sécurité juridique, bonne gestion financière, traçabilité du processus de décision, qualité du reporting, réactivité dans la réponse aux élus notamment.
Il m’a semblé nécessaire de conforter ces acquis et d’apporter la stabilité organisationnelle indispensable au bon fonctionnement de l’administration, après plusieurs années de chantiers de transformation interne conduits par mon prédécesseur, dont je tiens à saluer l’action. Je n’ai de ce fait à titre d’exemple quasiment pas touché à l’organigramme des services, que j’ai jugé cohérent, lisible et consensuel.
Pour autant, cette pratique managériale de type « top down » avait également d’inévitables effets pervers, qu’il m’a semblé nécessaire de corriger : culture de la déférence pouvant brider certaines initiatives, procédures internes complexes ralentissant l’avancée de certains projets, ou encore circulation de l’information très descendante laissant insuffisamment de place au dialogue avec les équipes.
Dès lors, j’ai estimé indispensable de conduire une transition managériale dans la durée, pour accompagner les nombreux changements déjà entrepris et construire une organisation plus collaborative, déconcentrée et responsabilisante.
Quels étaient les objectifs recherchés ?
Tout l’enjeu est de bâtir une administration plus agile et efficiente, capable d’atteindre les résultats attendus à moindre coût. Cette recherche d’efficience doit se traduire par deux objectifs majeurs.
Le premier objectif est celui de « l’efficacité opérationnelle ».
Intrinsèquement proches de ceux de l’Etat, dont ils partagent les locaux, les services du Département restent encore marqués par une culture bureaucratique, sources de nombreux coûts « cachés » : doublons entre certaines équipes, tâches parfois inutiles, procédures administratifs encore souvent trop lourdes.
La dématérialisation a certes beaucoup progressé, apportant sur certains métiers une fluidité plus importante et rendant possible le partage de données en temps réel. Mais la part des fonctions supports ou de « back office » dans la masse salariale reste globalement trop élevée, comparativement aux fonctions opérationnelles, traduisant par là-même une tendance à la «suradministration».
C’est pourquoi nous avons créé une vice-présidence spécifiquement chargée de l’efficacité des politiques publiques et mettons désormais en place un comité de pilotage dédié à la simplification de l’ensemble de nos processus métiers, dans une démarche proche du Lean Management, destinée à alléger la gestion et libérer l’innovation en misant sur le développement personnel.
Le deuxième objectif est celui de la «fidélisation» des équipes.
A l’instar de nombreuses collectivités en Ile-de-France, le Département de l’Essonne connait un fort turn-over, au point que certains cadres ou agents font déjà figures d’anciens au bout de deux années de fonction. Le taux de vacance de poste est élevé, en particulier dans les filières technique et médico-sociale, dont le marché de l’emploi est par ailleurs le plus tendu.
Dans ce contexte, il est nécessaire de se doter d’une stratégie de recrutement efficace en
développant notamment la « marque employeur», mais il est tout aussi indispensable de construire un projet managérial fédérateur, afin de créer une communauté professionnelle vivante et attractive, suscitant l’envie de s’inscrire dans la durée au sein de la collectivité.
Le management nécessite ainsi un pilotage fin, adapté au contexte et enjeux du moment: alors que certaines collectivités ont besoin de faire bouger leurs équipes pour aérer et dynamiser leur organisation, d’autres conçoivent des stratégies destinées à retenir et fidéliser le capital humain pour investir avec succès dans l’avenir.
Quel est le résultat attendu ?
Le projet managérial n’étant encore qu’à ses débuts, il est évidemment trop prématuré d’en faire un bilan. Je note toutefois plusieurs éléments intéressants, relativement prometteurs pour l’avenir.
Les cadres sont prêts à « bouger » et en ont envie. Ils manifestent même une certaine impatience face à l’inertie de l’organisation. Plusieurs initiatives ont été prises, comme la création d’un laboratoire d’innovation conjoint entre l’Etat et le Département au sein de la cité administrative, ou encore la constitution d’un groupe de travail composé d’un échantillon représentatif de la diversité de l’encadrement pour élaborer des propositions en matière de management.
Les organisations syndicales ont compris qu’investir dans le management était indispensable dans l’intérêt même des agents. Des sujets aussi sensibles que l’organisation du télétravail, la lutte contre l’absentéisme ou encore la rémunération au mérite, dépendent largement des aptitudes des encadrants à faire preuve d’intelligence situationnelle, de discernement individuel et de courage managérial.
Les agents territoriaux sont très engagés et sensibles aux signes de reconnaissance qui peuvent leur être apportés. Dans cette période où la crise énergétique succède à la crise sanitaire, avec tout ce que cela comporte d’incertitudes et d’inquiétudes, il semble y avoir un « moment » favorable pour engager une véritable « transition managériale » au bénéfice de l’organisation collective comme des situations individuelles.
Quel est votre rôle et vos responsabilités ?
Ma vocation est d’abord de montrer le cap et de donner du sens pour emmener les équipes.
La communication managériale est de ce point de vue indispensable. Elle peut prendre de multiples formes, depuis la newsletter des managers jusqu’au séminaires de cadres, que j’organise tous les six mois, avec à chaque fois que possible, un intervenant extérieur. Les cadres comme les agents doivent pouvoir se situer dans un récit collectif qu’il est nécessaire de raconter. Mon objectif est de montrer comment la déclinaison d’un projet de mandature peut être porteuse de sens pour le travail de chacun au quotidien. Cette démarche est, j’en suis convaincu, un puissant levier de motivation.
Mon rôle est aussi de donner l’impulsion nécessaire au pilotage du projet managérial.
J’ai à ce titre souhaité créer une direction de l’innovation et de la transition managériale, directement rattachée au DGS, dont la vocation est notamment de proposer une « boîte à outils » utile pour l’ensemble des managers afin de les aider à progresser dans l’exercice de leurs fonctions. A titre d’exemple, la construction d’une école interne du management, la mise en place d’ateliers de co-développement ou encore l’usage des outils collaboratifs sont des éléments indispensables pour accompagner le changement.
Ma responsabilité est enfin de bâtir un « management de projets » permettant d’orienter et de mettre en œuvre de manière efficiente les politiques publiques décidées par nos élus.
J’ai à ce titre proposé à l’exécutif de construire une programmation pluriannuelle de fonctionnement (PPF), qui sera adoptée d’ici la fin de l’année. Adossée à la programmation pluriannuelle d’investissement (PPI), en cours d’actualisation, la PPF est une trajectoire budgétaire de moyen et long terme, qui doit servir de fil rouge pour l’action départementale. Dans ce cadre, la formation des cadres au management de projet sera une de mes priorités pour renforcer notre capacité à maîtriser la qualité, les coûts et les délais.
Quels enseignements en tirez-vous ?
Dans un monde en mutation, par définition volatil, incertain, ambigu et changeant, le management devient l’art de conduire les transitions. J’en retiens deux principaux enseignements.
Le management nécessite du temps pour
produire ses effets en profondeur, parce qu’il touche à la culture d’une organisation plus encore qu’à sa structure.
En période de transition, les cadres et les agents sont plus exposés et amenés à sortir de leur zone de confort, ce qui peut conduire à modifier certains équilibres et à déstabiliser l’organisation. Investir dans le management est donc coûteux à court terme mais peut rapporter beaucoup à moyen et long terme. Cela implique une certaine stabilité dans les équipes
dirigeantes, afin de conduire le changement dans la durée avec cohérence. On ne peut pas transformer de l’intérieur une administration en évoluant au rythme du corps préfectoral.
Conduire un projet managérial nécessite également de savoir bien s’entourer.
Recruter des profils diversifiés et complémentaires est indispensable à la bonne santé d’un comité de direction. Mais il faut aussi s’assurer d’un alignement managérial des cadres sur un socle de valeurs partagés. Lorsque l’on cherche à supprimer des procédures pour gagner en agilité, la solidité de l’organisation repose sur le respect des valeurs qu’elle a choisies de se donner. J’ai à ce titre été touché de voir lors de notre dernier séminaire des cadres que ces derniers avaient plébiscité des adjectifs très « qualitatifs » (motivant, communiquant, sécurisant, reconnaissant, innovant, bienveillant) pour désigner le manager qu’ils souhaiteraient être.
Conseil de lecture de l’invité : Quel livre fait référence pour vous dans le domaine du management ?
Je recommande à ceux qui ne le connaîtraient pas la lecture des Quatre Accords Toltèques, de Don Miguel RUIZ.
Cet ouvrage invite à suivre cinq règles de vie, que le lecteur peut méditer pour appréhender le monde plus sereinement: « que ta parole soit impeccable ; quoiqu’il arrive, n’en fait pas une affaire personnelle ; ne fait pas de supposition ; fais toujours de ton mieux ; sois sceptique mais apprends à écouter ».
C’est en réalité un manuel d’une grande richesse pour les apprentis comme pour les managers confirmés.
Manager nécessite en effet de communiquer avec justesse, de maîtriser ses émotions, de faire preuve de discernement, d’agir efficacement et de cultiver le doute pour apprendre et progresser. En lisant les accords toltèques, on comprend l’importance de toutes ces qualités et comment les développer. Car manager est aussi un chemin d’authenticité.