A l’heure où la Cour des comptes prépare son bilan de l’expérimentation de la certification des comptes au sein de collectivités territoriales, il nous semble opportun de partager notre retour d’expérience et les choix que nous avons faits durant les années de la mise en œuvre.
Même si chaque collectivité s’inscrit dans un contexte spécifique, nous pensons utile de contribuer à éclairer les élus et techniciens qui auront la responsabilité de la certification des comptes dans leur collectivité.
En 2016, le Département du Rhône a fait le choix avec cinq autre Conseils départementaux de participer à l’expérimentation de certification des comptes telle que prévue par l’article 110 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République. Cet engagement s’inscrivait dans notre stratégie de redressement des comptes de la collectivité et de sortie des emprunts toxiques. Il nous fallait redonner confiance aux banques d’une part et aux citoyens de l’autre, dans la gestion de la collectivité.
Au départ, nous avons probablement sous-estimé le niveau d’engagement collectif que cette expérimentation exigerait. Nous avons aussi découvert chemin faisant les enjeux techniques et politiques de la démarche.
Six ans après, le bilan pour la collectivité est très positif, les banques répondent à nouveau pleinement à nos appels d’offres et nous avons même pu emprunter plus de 24 M€ sur le marché obligataire, ce qui témoigne de la confiance des acteurs locaux. Au-delà des indicateurs financiers redevenus positifs, c’est une démarche d’ensemble dans laquelle s’est inscrite la certification des comptes qui a permis d’atteindre l’objectif fixé : être certifié, avec des réserves, et même être l’un des 3 premiers départements à avoir ses comptes certifiés par un commissaire aux comptes.
Il ne s’agit donc pas dans cet article de peser sur les orientations de la Cour des comptes ou de relayer les conclusions très positives de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes. Nous avons bien entendu un avis sur l’extension du dispositif aux autres collectivités. Nous l’avons d’ailleurs exprimé dans le travail très précis de retour d’expérience organisé par notre association Départements de France.
Cet article repose clairement sur une conviction : la certification des comptes s’inscrit dans une tendance forte de réforme de nos collectivités. Plus de transparence et de bonne gestion pour plus de confiance et d’autonomie d’action, telle pourrait être la maxime à laquelle nous croyons. Nous pensons aussi que la certification des comptes est très liée au contexte de changement de responsabilité financière et comptable qu’opère à bas bruit le législateur.
D’ailleurs, la démarche d’expérimenter avant de légiférer mérite d’être soulignée comme une pratique efficace dans la conduite des réformes pour éviter ce désagréable sentiment que tout se décide en haut. Les collectivités ainsi mobilisées deviennent un acteur du changement et contribuent, dans le respect des prérogatives de chacun, à faire progresser la réflexion, les normes et les cadres futurs de l’action.
Après six années de cette expérimentation, nous tirons quelques enseignements qui méritent d’être partagés pour aider les autres collectivités à se poser dès maintenant les bonnes questions pour faire certifier leurs comptes.
Tout d’abord, la gouvernance du projet. C’est un sujet majeur car la certification des comptes demande à la fois une forte mobilisation technique (plus de 100 contributeurs dans le Rhône avec une fonction comptable déconcentrée dans les services opérationnels) et a un sens politique car elle s’intègre pleinement dans le cycle budgétaire de la collectivité avec la présentation du rapport du Commissaire aux comptes avant l’adoption du compte administratif et du compte de gestion.
Pour conduire à bien la démarche et garantir une adhésion politique, nous avons régulièrement avec la vice-Présidente aux finances réuni un comité de pilotage associant la Présidente de commission ressources finances et des Présidents des groupes politiques de notre Assemblée départementale. Transparence de la démarche et pluralisme sont des points majeurs pour permettre une acculturation à un sujet qui jusqu’alors était considéré comme très technique. Bien entendu le Payeur départemental siège dans ce comité car la certification des comptes ne s’arrête pas aux frontières des services départementaux et appelle une étroite coopération avec le Payeur et ses services. Nous ne pouvons d’ailleurs que nous féliciter de la situation très positive sur cette collaboration pour notre département qui a contribué à la certification de nos comptes.
La double dimension politique et technique de la certification et notre choix de positionner le pilotage «au plus haut niveau» selon les conseils avisés de Jean-Marc Danièle (magistrat à la CRC AURA), expliquent pourquoi nous avons en phase d’audit expérimental par le commissaire aux comptes mis en place un Comité de Projet, co-présidé par la vice-Présidente Sylvie Epinat spécifiquement nommée déléguée à la certification des comptes en 2017 et le DGS pour que toutes les dimensions du projet soit travaillées dans la même instance et éviter l’empilement des comités de pilotage et techniques.
Ce comité de projet est garant du programme d’amélioration continue qui est centrale dans une démarche de certification des comptes car seule l’inscription dans la durée permet de monter réellement en qualité d’exécution comptable !
En faisant cela, nous avons donc organisé la démarche en mode projet, avec un groupe «fil rouge» pour travailler progressivement sur les processus comptables à écrire, avec toutes les directions pour formaliser des «logigrammes» de la collectivité, par exemple pour la paye à la DRH, pour toutes les prestations sociales dans nos directions des solidarités ou pour l’intégration des investissements dans les immobilisations. Le groupe « fil rouge » s’est attaché à conduire l’évolution de certaines pratiques, très techniques, les règles et procédures d’amortissement en fonction de la date de mise en service par exemple. Nous avons aussi diffusé la culture de la comptabilité au sein des services, c’est-à-dire qu’aujourd’hui les impacts comptables sont intégrés dans les décisions (pour réaliser des provisions par exemple). Le passage à la nouvelle norme comptable M57 a aussi permis de refonder collectivement notre cadre de référence politique et technique. Ce projet est donc un véritable chantier de conduite du changement et de modernisation en profondeur de notre collectivité.
La mobilisation réalisée dans les premières phases préparatoires accompagnées par les équipes de la Cour des comptes et de la chambre régionale des comptes a été indéniablement un atout pour la réussite du projet. Nous voulons donc attirer l’attention sur la nécessaire préparation au sein des services de toutes les équipes concernées. En effet l’arrivée du Commissaire aux comptes en 2019 (c’est le cabinet EY qui a été retenu par le Département du Rhône à l’issu d’une procédure d’appel d’offres), a confirmé que les travaux d’audit ne concernaient pas seulement des processus internes à la direction des finances et le système d’information interne mais que les auditeurs allaient interroger les services opérationnels à la source pour s’assurer de la « conformité » de toute la chaine comptable.
Avec Bruno Gérard (associé du Cabinet EY), nous avons beaucoup échangé pour comprendre les « normes de la profession de commissaire aux comptes » et intégré les notions de « lettre d’affirmation des comptes de l’exercice clos » que nous signons avec le payeur départemental, de « l’annexe au compte de gestion », de seuil significatif, etc.
Nous avons aussi établi que l’intervention du commissaire aux comptes se ferait chaque année de l’expérimentation juste avant la séance publique du vote du compte de gestion pour permettre une parfaite information de l’ensemble des conseillers départementaux.
C’est bien dans ce juste équilibre entre la portée politique du projet, l’ambition de faire de notre collectivité une référence et le pilotage de l’ensemble des déclinaisons techniques que ce situe tout l’intérêt de la démarche. Tout au long des échanges avec la Cour des comptes nous avons eu aussi à cœur de faire remonter, comme on dit, nos observations pour contribuer à adapter le cadre règlementaire et la norme comptable. Nous espérons ainsi avoir fait œuvre utile pour toutes les collectivités. L’avenir dira si elles auront à vivre cette très riche expérience collective.
Christophe Guilloteau, Président du Département du Rhône
Jean-Marie Martino, Directeur général des services
EXTRAIT – SYNTHÈSE DESTINÉE À L’ASSEMBLÉE DÉPARTEMENTALE – EY
Le Département a poursuivi, en 2021, une trajectoire positive de fiabilisation des comptes, avec une grande mobilisation dans le suivi des problématiques identifiées et un portage managérial adapté au pilotage de ce projet.
La qualité du partenariat avec le comptable public ainsi que la forte mobilisation de la Direction générale des services, de la Direction générale adjointe, de la Direction des Finances et de l’ensemble des services impliqués ont été déterminantes dans la réussite de cette deuxième année d’audit expérimental.
[…]
Véritable levier d’un processus d’amélioration continue des procédures en vigueur, la documentation des dispositifs de contrôle interne se poursuit et veille à être pertinente et utile aux utilisateurs au sein des services du Département, et ce dans le cadre de la pérennisation de la démarche de fiabilisation des comptes.
Ainsi, le Département a poursuivi sa démarche rigoureuse de description des procédures et de déploiement d’une démarche de contrôle interne couvrant l’ensemble des processus majeurs.
[…]
En 2021, les travaux menés par le Département nous ont permis de circonscrire davantage les limitations rencontrées lors de l’audit 2020 et d’en lever certaines.
Par conséquent, à notre avis, sous les réserves décrites ci-dessous, les comptes de l’exercice 2021 présentent sincèrement, dans tous les aspects significatifs et au regard de l’instruction comptable et budgétaire M57, le patrimoine et la situation financière du Département du Rhône, ainsi que le résultat de ses opérations.
Mme Epinat, vous avez été désignée par le Président Guilloteau en responsabilité de la démarche d’expérimentation de la certification des comptes. Quels sont les points marquants que vous retenez de cette expérience ?
J’ai accepté avec plaisir cette mission sur la certification des comptes. J’en retiens un travail d’équipe et de partage dans les différents services du Département pour faire comprendre cette démarche de certification et l’intérêt que cela apporte à la collectivité. Cela a permis la mise en place de nouvelles méthodes de travail tant en termes de modes opératoires que de contrôle interne, garantissant le bon suivi en renforçant la sécurité des flux.
Une implication forte des services financiers du Département en lien très étroit avec le service de la paierie départemental et la Cour des comptes a permis d’apporter des réponses à chaque problématiques dans le seul but de faire remonter à la Cour les difficultés rencontrées pour faire évoluer les règles.
Enfin il me semble important de souligner qu’un travail de pédagogie est nécessaire pour faire comprendre par des mots simples la complexité des chiffres et des règles comptables.
Êtes-vous favorable à la poursuite de la certification des comptes ?
Je pense que le travail réalisé dans le cadre de la Certification est un gage de Qualité et qu’il faut absolument poursuivre.
N’oublions pas que le Département gère de l’argent public et se doit d’être exemplaire dans la bonne gestion vis-à-vis des citoyens.
L’expérimentation doit permettre la mise en place des mêmes règles de Certification applicable à l’ensemble des départements et d’adapter le cadre normatif comptable.
Mme Hennetin, vous êtes en charge du pilotage opérationnel de l’expérimentation. Quelles sont pour vous les spécificités du pilotage de ce type de projet ?
Tout l’intérêt de l’approche portée par le Département du Rhône pour la certification des comptes a été de ne pas en faire un sujet technique des finances. Ce projet est un véritable projet de transformation pour la collectivité qui conjugue différentes dimensions de pilotage :
L’engagement : avec un pilotage au plus haut niveau – élus et direction générale
Le projet : avec le temps de l’expérimentation sous la responsabilité de la Cour des comptes
L’animation de l’expertise : avec la montée en compétence de tous sur les questions de comptabilité
Le pilotage fonctionnel : avec une organisation décentralisée de la fonction comptable, appuyée par le développement des outils numériques et un portage au plus haut niveau
L’innovation : avec le développement du contrôle interne et le pilotage par l’approche risque
Personnellement, qu’en retenez-vous ?
Je retiens trois idées essentielles :
L’amélioration continue : car elle permet une réelle appropriation par chacun à son niveau et ainsi d’avoir un impact dans la durée !
L’expérimentation. Le résultat attendu était certes une amélioration de la qualité comptable mais aussi l’identification des points d’achoppement afin de définir les conditions de réalisation.
L’engagement et fierté. Les questions soulevées par les auditeurs ont permis à chacun d’améliorer ses process y compris au-delà de la partie comptable. Cet engagement a été récompensé par la certification avec réserves des comptes 2021 du Département du Rhône, source de fierté pour les élus comme pour les agents !