Nous nous retrouvons quai de Montebello en face de la cathédrale Notre-Dame à Paris sous un ciel bleu sans l’ombre d’un nuage. Le Lot-et-Garonne participe là à l’opération « Les marchés flottants du Sud-Ouest » avec le Gers et le Tarn-et-Garonne. Opération de promotion territoriale qui permet de faire connaître les richesses du Sud-Ouest. Rendez-vous incontournable, festif et gourmand de la rentrée parisienne, avec un grand marché convivial où l’on trouve foies gras, magrets, fruits et légumes du soleil, vins… 32 producteurs passionnés font ainsi découvrir leurs bons produits du terroir. Comme il est un peu tôt, on ne goûte pas à la prune d’Ente du Lot-et-Garonne, mais on se promet de revenir.
Sophie Borderie est à l’aise, chez elle au milieu des producteurs, de l’Association des Fruits et légumes du Lot-et-Garonne et ose aller à la rencontre des passants avec facilité et simplicité.
Car c’est sans doute ce qui frappe le plus lorsque l’on rencontre la présidente du Département du Lot-et-Garonne, la simplicité. Avec elle, pas de collaborateurs qui compliquent les relations. Un échange direct, franc. Elle garde les pieds sur terre et ne se laisse pas griser par le pouvoir local. D’ailleurs, comme pour être sûre de conserver le lien avec la réalité, elle continue d’exercer son métier d’infirmière anesthésiste à temps partiel.
Un moyen de ne pas se trouver déconnectée ! Ce qu’elle veut, c’est conserver un contact direct et elle le trouve dans ses rencontres avec les patients. Là, pas de flagornerie, « on vous dit directement les choses et j’apprends beaucoup de ces contacts. Du reste, je ne pourrai pas me passer de mon métier ».
Et puis, il y a l’amour du terroir. On l’a senti à sa façon de regarder, de parler avec les producteurs. Elle connaît son département, ses forces et ses faiblesses. Le patrimoine architectural, naturel et gastronomique. Elle en parle avec le talent de la vérité et de la passion.
Du reste, cette opération à Paris s’intègre dans une stratégie réfléchie, voulue de marketing territorial. Savoir profiter de la situation géographique du département, au cœur du Sud-Ouest. Là où certains se plaindraient d’être coincés entre Toulouse et Bordeaux, Sophie Borderie y voit une opportunité, un desserrement pour des métropolitains qui cherchent à s’installer à proximité. Alors, tenant compte de l’évolution du contexte lié à la crise du Covid, des nouvelles aspirations des Français, de cette demande de terrain et du télétravail, elle cherche à ce que le Lot-et-Garonne tire son épingle du jeu.
Cette femme, aux convictions politiques socialistes affirmées, cherche à travailler avec tous. Du reste, elle se sent à l’aise dans les instances de Départements de France où elle s’est vue confier la présidence de la commission « égalité » par le président Sauvadet.
Alors, accueillir les Assises représente pour elle une opportunité importante. Avec les projecteurs braqués sur Agen en octobre et l’opportunité pour les agriculteurs et entreprises du Lot-et-Garonne de présenter leurs produits.
Enfin, alors que notre entretien va se terminer, elle tient à évoquer son combat pour l’égalité femmes / hommes et les mesures qu’elle a prises pour progresser en la matière au collège, au sein des services départementaux et dans la vie quotidienne.
Assises de DF : « C’est une belle opportunité pour notre département »
Sophie Borderie – Présidente du Département de Lot-et-Garonne
Je suis infirmière anesthésiste de profession depuis 1999 et je continue de travailler. J’avais posé cette condition quand mon prédécesseur Pierre Camani m’a proposé de lui succéder. Je travaille certes à temps partiel mais c’était important pour moi de continuer d’exercer ma profession. J’aime beaucoup mon métier et je pense que c’est aussi important pour ma famille. J’arrive à concilier ma vie professionnelle avec mes responsabilités électives mais cela fait des semaines bien chargées !
J’ai adhéré au Parti socialiste après la catastrophe de 2002 où Lionel Jospin a été éliminé dès le premier tour de l’élection présidentielle.
J’ai ensuite été élue en 2006 au Conseil municipal de Marmande, puis en 2008 je deviens Adjointe au maire en charge des affaires sociales. Aux élections départementales de 2011, je suis suppléante du Conseiller général Jacques Bilirit puis en 2015, je suis élue en binôme comme conseillère départementale avec lui, sur le canton de Marmande 2. J’ai assuré la Vice-Présidence en charge des Solidarités de 2015 à 2019, année où Pierre Camani me propose de lui succéder à la Présidence en cours de mandat. Nous avons préparé ensemble cette succession. Il est toujours Conseiller départemental et c’est une chance de l’avoir à mes côtés car je peux m’appuyer sur son expérience.
Comment avez-vous ressenti votre élection à la Présidence du Conseil départemental ?
Cette fonction est très différente de ma vice-présidence en charge des Solidarités. Quand on arrive à la tête d’un Conseil départemental, on doit assumer un certain nombre de responsabilités ! La Présidence ne me prend pas nécessairement plus de temps que ne m’en prenait ma vice-présidence aux Solidarités car j’étais déjà très investie dans cette mission ; mais comme Présidente c’est sur moi que pèse le poids des dernières décisions, même si j’ai beau partager cela avec mes collègues de l’exécutif départemental. J’assume cela avec passion. J’ai été réélue à la Présidence le 1er juillet 2021 avec le même équilibre politique dans l’assemblée départementale. Notre majorité départementale est étiquetée de gauche mais est assez ouverte.
Certains élus de ma majorité départementale ont par exemple parrainé Emmanuel Macron. Notre majorité départementale comporte aussi des élus d’une gauche qui peut être très appuyée, mais cela fonctionne très bien. Il y a un vrai respect entre les élus qui sont compétents, très attachés à leur territoire et à leurs valeurs.
Comment analysez-vous les élections législatives sur votre département ?
Le résultat en Lot-et-Garonne n’est pas très différent d’autres départements. Nous avions précédemment trois députés LREM et en 2022, deux députés Rassemblement national ont été élus. On sentait une lame de fond depuis un certain temps dans notre département, et cette lame s’est concrétisée avec les élections législatives et avec une abstention énorme. Les électeurs ressentent aussi un sentiment d’abandon de nos territoires, alors que nous nous battons pour les faire avancer, avec les autres collectivités. Il y a aussi une méconnaissance forte des électeurs sur les compétences des différentes collectivités, une jeunesse peu investie, nous avons encore plus de pédagogie à faire !
Pouvez-vous nous parler du Lot-et-Garonne, avec ses forces et ses faiblesses ?
Le Lot-et-Garonne est un département rural ce qui n’est pas du tout péjoratif ! Nous sommes situés entre deux métropoles très développées que sont Toulouse et Bordeaux.
Les services sont bien implantés et présents, beaucoup d’investissements ont été réalisés dans notre département, ce qui en fait une force. La situation géographique est une opportunité et nous sommes desservis par l’autoroute.
Les collectivités ont fait en sorte, depuis des années, de garder des services de qualité. Une famille qui vient s’installer en Lot-et-Garonne a tous les services à sa portée.
L’enseignement supérieur est également accessible en proximité.
Terrain propice à l’agriculture, Le Lot-et-Garonne est souvent qualifié de plus grand jardin de France car on y trouve plus de 70 cultures entre maraichage, fruits, légumes… sans oublier, l’élevage. C’est une terre agricole qui a su se moderniser avec des zones d’activités comme l’Agropole, initié par Jean François-Poncet et qui est aujourd’hui très développé. Agrinove (ndlr : technopole agricole pour l’innovation « amont ») et le campus numérique sont d’autres exemples de ce dynamisme. Nous allions la tradition et la modernité, avec une volonté de développer l’attractivité du département au travers de son histoire mais aussi de se moderniser.
Comment arrive-t-on à être attractif entre deux métropoles ?
La présence de deux métropoles voisines du Lot-et-Garonne serait une faiblesse si nous ne faisions rien. Ce qui n’est pas notre cas et nous savons en tirer les avantages. Si je prends l’exemple de Marmande, que je connais bien, nous sommes à 70km de Bordeaux. Bordeaux
est désormais à 2 heures de Paris avec la LGV et le prix de l’immobilier y a fortement augmenté. Nous voyons donc de plus en plus de Bordelais faire le choix de s’installer sur notre territoire et prendre le train pour aller y travailler chaque jour. C’est aussi pour cette raison que le Conseil départemental consacre des crédits importants pour des investissements lourds comme le plan des routes et des mobilités quotidiennes, mais aussi sur les collèges. Nous envisageons également de créer une structure départementale qui pilotera un plan d’attractivité territorial, en y associant les EPCI et les chambres consulaires.
Comment se porte le tourisme sur votre département ?
Nous avons connu une hausse importante du nombre de visiteurs suite à la crise sanitaire. Nous avions déjà fait une très belle saison en 2019. À la sortie de la crise, nous avons lancé une campagne publicitaire « agressive » pour mettre en avant notre richesse patrimoniale et qui a très bien fonctionnée. Les touristes viennent visiter le Château de Nérac, avec son musée Henri IV, nous avons également beaucoup de bastides et des villages labélisés « Plus beau village de France ».
Ce tourisme architectural s’accompagne aussi d’un tourisme gastronomique et convivial.
Votre département souffre-t-il de la désertification médicale ?
Depuis 2010, nous sommes très engagés dans la lutte contre la désertification médicale avec des investissements lourds sur l’immobilier. Nous avons créé des maisons de santé pluridisciplinaires. Nous allons poursuivre cette lutte contre la désertification au travers du plan d’attractivité territoriale. Il ne faut pas baisser les bras. La santé est une compétence régalienne, on a atteint un plafond de verre et l’État doit prendre ses responsabilités. La suppression du numerus clausus ne suffit pas, et je pense que nous devons aller vers des mesures plus coercitives. L’accès aux soins est la priorité de nos concitoyens et je regrette que ce sujet n’ait pas été abordé lors des élections du printemps dernier… Je ne suis pas très favorable au développement de la médecine générale à distance. De par ma profession, je mesure que la santé doit être traitée en proximité entre le patient et le professionnel de santé. Il y a un échange qui se fait. La e-santé peut être une solution temporaire dans l’attente de trouver de nouveaux praticiens, mais je ne pense pas que cette solution soit idéale et pérenne sur le long terme.
Vous accueillez du 12 au 14 octobre prochain les assises des Départements de France. Qu’en attendez-vous ?
Nous avons porté notre candidature en 2020. C’est une belle opportunité pour notre département, toujours en termes d’attractivité. Cette nouvelle formule, car nous sommes passés d’un Congrès à des Assises, permet d’avoir un village de partenaires locaux, avec plus de soixante entreprises présentes, ainsi que la Chambre d’agriculture. Cela nous permet de créer une vitrine du Lot-et-Garonne, avec ses pépites, lors de ce rendez-vous annuel national. Nous attendons entre 1200 et 1600 congressistes, ce qui est énorme pour le territoire en matière d’hébergement et de restauration ! Nos agents départementaux sont très mobilisés et très fiers d’accueillir leurs collègues à Agen.
Quel regard portez-vous sur la loi 3DS ?
C’est très abstrait. Les assises permettront d’avoir un vrai échange sur la décentralisation, savoir jusqu’où nous devons aller, notamment sur l’expérimentation. Il faut que l’État soit
conscient que la gestion en proximité est source d’efficacité : la crise a permis de mettre en avant la force de frappe des départements, notamment sur les masques. Si les départements ne s’étaient pas mobilisés, nous aurions été en plus grande difficulté.
Que pensez-vous d’un retour du Conseiller territorial ?
Forte de mon propos précédent, je ne pense pas que l’élu qui siège à la fois au département et dans la vaste région Nouvelle Aquitaine puisse exercer son mandat en proximité. Comment peut-on aller expliquer ce que fait le département si les élus doivent aller siéger au Conseil régional à plus de 300 km de leur canton ?
Si cette réforme a un argument économique, je n’y crois absolument pas, car on a vu le résultat avec les grandes régions…
Si on veut être efficace, il faut être sur le terrain. Pour ce qui me concerne, je visite le territoire deux jours par semaine et des réunions dans les cantons avec les maires.
Le versement du RSA sous condition serait-il une mauvaise idée selon vous ?
Je ne souhaite pas m’inscrire dans cette expérimentation car cela ne sera ni adapté, ni une solution !
Aujourd’hui, un bénéficiaire du RSA à un contrat d’engagements réciproques. Il y a un suivi par les travailleurs sociaux. Malheureusement, force est de constater qu’il y a des bénéficiaires qui ne reviennent pas dans le monde du travail. Dans le Lot-et-Garonne, 30% des bénéficiaires sont très loin de l’emploi. Je ne suis pas sure que d’imposer aux bénéficiaires de travailler pour toucher le RSA soit la méthode la plus efficace.
Rien n’empêche les collectivités à mettre en place des dispositifs. Nous avons mis en place Job47 qui est une plateforme mettant en relation les bénéficiaires du RSA avec les offres d’emploi des entreprises, en lien avec les Chambres consulaires.
Quels sont les chantiers phares de votre mandat ?
Un an après notre élection, la moitié des engagements de campagne a démarré. Il y a eu un engagement fort de notre part : le tarif des repas pour les collégiens ne peut plus être supérieur à deux euros. Dans un contexte d’augmentation des prix et de baisse du pouvoir d’achat, c’était une décision plus que bienvenue, et ce sans toucher à la quantité, ni à la qualité des repas qui sont produits en circuit-court !
Nous lançons aussi le projet de mettre en place des repas en circuit-court dans nos EHPAD en faveur de nos aînés.
Comme je le disais tout à l’heure, nous lançons aussi un plan d’investissement sur les routes départementales et mobilités du quotidien en lien avec les maires et les EPCI qui nous ont fait remonter leurs propositions dans le cadre d’une démarche que nous avons voulue participative.
Vous êtes Présidente du Service départemental d’incendie et de secours. Vous avez eu des incendies cet été ?
La forêt des Landes de Gascogne a été touchée chez nous mais plus tard dans la saison que nos voisins, nous avons donc pu réagir très vite et éviter le pire. Mais en effet nos sapeurs-pompiers sont allés prêter main forte en Gironde notamment. Il y a eu une véritable solidarité dans le Sud—Ouest et plus largement de toute la France pour venir soutenir nos sapeurs-pompiers face à cette catastrophe. Nous leur devons beaucoup !
Quel est votre plan d’action sur le numérique ?
Mon prédécesseur était très engagé sur ce sujet. Aujourd’hui, plus de 70% du département est raccordé à la fibre. En 2024, ce sera l’ensemble du département. C’est un point d’attractivité très important pour notre territoire. Cela permet aux entreprises de faciliter le télétravail et le fonctionnement au quotidien des entreprises. Nous n’avons pas généralisé les cartables numériques car ce n’était pas une demande des enseignants, mais nous lançons un plan e-collèges avec un renouvellement important des ordinateurs et des classes mobiles dans les établissements.
Nous travaillons aussi sur l’inclusion numérique en lien avec des partenaires comme la CAF ou la MSA pour permettre aux personnes éloignées du numérique de se former.
Quelle est la situation financière du Conseil départemental du Lot-et-Garonne ?
Il y a un sujet en effet. Nous avons eu de très bonne DMTO, mais je reste prudente. Nous avons pu boucler un budget 2022 sans difficulté, mais dans le contexte actuel, les collectivités doivent redoubler de vigilance.
La crise sanitaire a duré trois ans, vient maintenant la crise économique. Nos collectivités doivent être très prudente dans les investissements à venir.
Nous n’avons a fortiori plus de levier fiscal et nous sommes dans l’incertitude.
Pour l’année 2022, sur les 9 premiers mois, nous avons eu +20 millions de fonctionnement entre le point d’indice, le Ségur de la Santé, les coûts de l’énergie, l’avenant 43 sur les aides à domicile… Nous devons nous adapter à ces réalités qui découlent du national.
C’est ringard le département ?
Ah non, je ne pense pas ! Honnêtement, je suis convaincue que c’est la bonne dimension : c’est une collectivité de proximité qui a une réelle capacité à agir. Les Départements l’ont d’ailleurs prouvé avec la crise sanitaire. La suppression des départements irait à l’encontre de la décentralisation, je n’en vois vraiment pas l’intérêt.
Vous avez un sujet qui vous tient à cœur ?
J’ai commencé à travailler sur un sujet à la fin du mandat précédent, c’est l’engagement de notre collectivité dans l’égalité femme-homme. C’est une commission que je préside au niveau de l’Assemblée des Départements de France.
J’ai une de mes vice-présidente, Marylène Paillarès, qui est en charge notamment de cette question.
Nous avons, dès le plus jeune âge, à travailler sur ce sujet de l’égalité femme-homme. Nous le faisons dès le collège, avec le Conseil départemental des jeunes.
Cela peut se traduire par la mise en place dans nos collèges de distributeurs de protections périodiques (ndlr : expérimentés dans 5 collèges en Lot-et-Garonne cette année). La précarité menstruelle est un vrai sujet, et une cause d’absentéisme en classe pour les jeunes filles.
D’une manière générale, notre majorité a fait de l’égalité femme-homme une grande cause départementale. Notre équipe de direction générale est d’ailleurs totalement paritaire.