Je me réjouis de votre nomination en qualité de Secrétaire d’Etat chargée de l’enfance auprès de la Première Ministre, que je réclamais depuis 2007, lors de ma participation à l’élaboration de la loi rénovation de la protection de l’enfant du 5 mars 2007.
Néanmoins, je regrette que vous ne soyez pas Ministre de l’Enfance de plein exercice, cela aurait permis que vous siégiez au Conseil des Ministres, ce qui ne sera le cas !
Ce poste de Ministre de plein exercice aurait permis de confirmer la déclaration du candidat Emmanuel MACRON, annonçant « la protection de l’enfance sera au cœur des cinq prochaines années qui viennent ».
Mon inquiétude sera votre influence de Secrétaire d’Etat sur les Ministres de pleins exercices qui sauront faire valoir leur prééminence et donc leurs arguments dans l’intérêt du ministère quitte à ce qu’ils soient contraires à celui de l’enfant.
Comme le rappelait récemment Fabienne QUIRIAU Directrice Générale de la CNAPE, vous n’aurez d’autre recours que de solliciter l’arbitrage de la Première Ministre, qui aura d’autres priorités en particulier la responsabilité de la transition écologique et la direction de l’ensemble du gouvernement. S’il en fallait un exemple, quand la Première Ministre réunira-t-elle un séminaire du gouvernement consacré à l’enfance et traçant une feuille de route de chaque ministre sur l’enfance ? Nous le savons, combien votre prédécesseur Adrien TAQUET a « mouillé la chemise » pour la protection de l’enfance, a connu au final de grandes difficultés face aux Ministres de l’Education Nationale, de la Santé, de la famille, des personnes en situation de handicap…. Aboutissant à un bilan en demi-teinte durant le précédent quinquennat, malgré la loi du 22 février 2022.
Alors, permettez-moi, en qualité de « vieux professionnel » durant une trentaine d’année à la Direction Départementale de l’Enfance et de la famille, dans les cabinets ministériels, militant dans différentes associations, de vous soumettre quelques réflexions pour une protection de l’enfance rénovée, conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Le premier conseil que je me permets de vous suggérer est celui dorénavant d’interdire de faire de nouvelles lois, sans avoir évalué la précédente et de s’assurer de la prise en compte des modifications des pratiques des acteurs chargés de sa mise en œuvre. Il faut en finir avec la politique « d’un Ministre, une loi de protection de l’enfance » et cela depuis la décentralisation de l’action sociale. Trop de lois tuent les lois !
Dans la situation de crise majeure que nous traversons, un constat s’impose, comme vous le rappelle la Cour des Comptes dans son rapport de juillet 2020 toujours d’actualité faisant état d’une « gouvernance nationale défaillante » et « interpelle à un meilleur pilotage ». Comme l’indique la même institution « la protection de l’enfance interministérielle et décentralisée doit disposer d’un interlocuteur unique des services de l’Etat des Conseils Départementaux ».
Pourquoi ne pas imaginer au niveau des corps préfectoraux de chaque département, un Sous –Préfet coordinateur de la protection de l’enfance, afin d’assurer un pilotage de cette politique nationale en lien avec la Justice.
Une planification commune Etat / Département / Justice doit redevenir un outil essentiel qui va au-delà des quelques avancées annoncées dans la loi du 22 février 2022. C’est à partir de chaque territoire, et non des bureaux parisiens ou des commissions « bidules », que doit émerger une CONVENTION NATIONALE de la protection de l’enfance, avec l’objectif de tirer un bilan qui pourrait être confié au CNPE avec sa Vice-Présidente Anne DEVREESE, experte de l’enfance. Cette CONVENTION NATIONALE pourrait avancer sur une feuille de route quinquennale dont l’objectif reste : « l’intérêt supérieur de l’enfant ».
Le premier défi à mettre en œuvre est celui d’une politique de prévention ayant l’objectif de réduire amplement les situations à risque de danger, quand nous savons que 80% des mesures éducatives ont recours au judiciaire, faute d’avoir anticipé le danger. Aujourd’hui, cela aboutit à des mesures éducatives qui peuvent attendre un an avant d’être mises en œuvres ! C’est inadmissible!
La prévention doit être le pivot de toute politique publique en direction de l’enfance. Pour cela, il me semblerait judicieux de mettre en place des équipes éducatives spécialisées et formées à la prévention primaire au sens fort du terme, positionnées en amont des situations de risques qui visent à supprimer voire réduire les risques. Ces professionnels seraient en relation sur chaque territoire avec les services municipaux accueillant des enfants dans les centres de loisirs, les activités paramunicipales, les associations locales, l’éducation nationale. L’ensemble de ces services sont au contact quotidien des enfants et pourrait signaler les inquiétudes ou les révélations des enfants à ces équipes de prévention, on est loin des missions actuelles de la prévention spécialisée !
Le second défi porte sur la formation initiale et continue obligatoire qui est en décalage avec les situations rencontrées par les professionnels en commençant par l’accès aux droits. Cette situation est en partie la cause du manque d’attrait aux métiers des travailleurs sociaux, aboutissant aujourd’hui à 30 000 postes vacants !
Enfin, il doit être décidé, comme pour les enseignants, qu’aucun salaire soit inférieur à 2000 euros pour les travailleurs sociaux !
Bien d’autres sujets auraient pu être abordés, comme la réforme structurelle de la protection de l’enfance qui passe par une organisation collective et pluridisciplinaire du travail éducatif. Cela doit commencer par en finir avec l’isolement des « référents » toujours cités sans référence au collectif de travail, comme si les enfants étaient confiés à une personne, alors qu’ils sont en réalité confiés à un service sous la responsabilité du Président du Conseil Départemental. Il s’agit de souligner la responsabilité collective de chaque professionnel : des équipes éducatives, aux autres catégories de professionnels comme les infirmiers psychiatriques (quand on sait que 32% des enfants admis à l’ASE souffrent de troubles psychiques qui mettent en grandes difficultés les structures éducatives). Sur ce sujet, une convention pourrait être signée entre les ARS et les Départements pour la mise à disposition de pédopsychiatres à temps partiels en complémentarité avec les psychologues.
Ces quelques mesures, et d’autres encore, pourraient modifier sensiblement l’approche de la protection de l’enfance.
Puissiez vous, Madame vous inspirer de cette citation de St Exupéry « la terre ne nous a pas été donnée par nos ancêtres… mais prêtée par nos enfants »