Edito : Pour ce sixième entretien, nous avons choisi de poser nos questions à Marylene Mongalvy, DGS du Département de l’Ardèche depuis le renouvellement de 2021. Second poste de DGS en Département après avoir fait ses classes de DGA à la région PACA, elle nous a témoigné de son choix clair de servir un conseil départemental en milieu rural. L’agrégée de philosophie d’origine a posé à son entrée en fonction un diagnostic clairvoyant de la situation de l’administration ardéchoise. En ne niant pas les effets d’une alternance sur les équipes, elle a fait le choix, dans la boîte à outil du DGS, de procéder à une réorganisation des services en structurant le pilotage et déconcentrant les fonctions ressources. Classique diront certains ; mais dans sa collectivité, à ce momentdonné, le changement de modèle d’organisation semble correspondre au cap stratégique : responsabiliser des directions métiers resserrées et les membres de l’exécutif au service d’objectifs politiques ambitieux dans un contexte très contraint financièrement. Ce témoignage, nous en sommes convaincus, fera écho à des expériences de mise en œuvre de nouveaux organigrammes dans vos Conseils départementaux. Il rappelle en tout cas l’importance d’être très attentif aux qualités des relations humaines et aux dynamiques de confiance nécessaires à tout système performant. Nous souhaitons, à elle et ses équipes, une belle réussite ; et une bonne rentrée à chacun d’entre vous.
Gilles Lagarde et Jean-Marie Martino
Quelle est l’expérience de management ou de conduite du changement qui vous a le plus marqué(e) dans votre carrière ?
Arrivée en Ardèche depuis novembre 2021, après avoir été pendant deux ans DGS de l’Yonne, était pour moi un choix tout à fait affirmé de choisir la ruralité, d’une part, et l’échelon départemental, d’autre part. Je suis profondément convaincue que, pour un territoire rural, le Département est l’interlocuteur incontournable, capable tout autant de proximité – l’action sociale, les routes… – que d’ingénierie et de prospective. Sous l’impulsion du Président élu en juillet 21, et portée par l’alternance politique, je me suis attachée à rapidement identifier deux choses : les « grands invariants » des politiques départementales, et les « marqueurs » sur lesquels l’exécutif nouvellement nommé souhaitait obtenir rapidement de la visibilité et des résultats. Bien sûr, ce diagnostic s’est effectué sur fond d’inquiétude des agents, de départ de la direction générale qui avait accompagné le précédent exécutif, voire de cadres intermédiaires, donc de vacances importantes dans les relais qu’une DGS doit avoir dans les services, et, pour finir, dans une période de préparation budgétaire. d’évaluer si la collectivité devait poursuivre cesMon rôle dans ce contexte troublé a été multiple : mais en priorité, je me suis attachée à proposer une organisation des services qui soit moins cloisonnée, plus cohérente, avec un objectif opérationnel clairement énoncé – et partagé. Cette réorganisation m’a occupée tout l’hiver 21-22, et je l’ai portée très directement : à la fois parce que les directeurs généraux adjoints, sauf un, étaient en cours de recrutement, et parce que j’ai voulu travailler au plus près des services, pour recueillir leur avis et leur connaissance de l’institution et de son histoire.
Cette période a été très dense, mais très formatrice. Elle m’a conforté dans mon impression première, d’une collectivité en demande d’un nouveau souffle et de nouveaux challenges, d’agents très attachés à leur territoire, fiers d’être Ardéchois et portant haut les valeurs du service public départemental.
Quels étaient les objectifs recherchés ?
Si les grandes politiques départementales étaient assez bien identifiées, j’avais noté à mon arrivée que les fonctions ressources, certes moins « visibles » mais totalement décisives pour l’efficacité et la fluidité d’une organisation, manquaient de cohérence, voire souffraient d’un éclatement ou de rattachements hiérarchiques peu compatibles avec un pilotage expert desdites ressources.
J’ai donc très clairement fait le choix de créer une direction générale adjointe chargée du pilotage des RH, des Finances, de la commande publique, des affaires juridiques, ce qui n’est pas une grande originalité, mais qui manquait à l’Ardèche. Mais, et c’est tout le sens de cet organigramme, cette DGA a également « essaimé » dans les DGA « métiers », sous la forme de secrétariats généraux. Ce sont de petites équipes, 4 à 6 personnes en général, chargées avec leurs directeurs généraux adjoints de concevoir tout l’outillage administratif, budgétaire, comptable, nécessaire à rendre lisible, et donc évaluable, l’activité des directions qui composent les DGA.
C’est donc à une déconcentration des fonctions ressources que j’ai procédé, parce qu’il n’est pas pertinent de mon point de vue que les directions « métiers » se déchargent entièrement du suivi et de l’évaluation de leurs ressources (humaines et budgétaires) sur une DRH ou une direction des Finances. Dans le contexte budgétaire contraint que connaît l’Ardèche, j’ai souhaité mettre les DGA « métiers » et leurs directeurs en responsabilité du pilotage des moyens mis à leur
disposition. Bien sûr les RH et les Finances sont là en appui, en apport d’expertise, en cadrage et en accompagnement.
Définir les objectifs de ces secrétariats généraux, les fiches de poste des agents qui les ont rejoints, identifier les interfaces à créer entre les directions ressources, les directions métiers et ces secrétariats généraux, colliger les outils partagés existants ou ceux qui devaient être créés… tout ceci est le chantier qui nous occupe encore aujourd’hui.
Quel a été le résultat à la fin du processus ?
Cette organisation, qui est venue bousculer des habitudes et exige de réinterroger les pratiques, y compris celles des managers, est encore en déploiement. L’adoption d’un organigramme ne marque certainement pas la fin d’un processus de réorganisation mais plutôt son début.
En l’occurrence, l’organigramme est en vigueur depuis le 1er avril, nous n’avons donc que 4 mois de recul – 4 mois, dont 6 semaines entièrement occupées par la gestion et la résolution d’une cyberattaque dont nous avons fait l’objet.
Nonobstant, ce processus de changement assez lourd a permis, de mon point de vue, de resserrer le nombre de directions au sein de pôles cohérents, de dédoublonner certains secteurs, de recentrer des directions sur leur cœur de métier.
Les engagements politiques pris par le Président lors de son élection (faire du retour à l’emploi l’objectif des dispositifs d’insertion, lutter contre la désertification médicale en positionnant le Département comme interlocuteur des communes, des professionnels de santé et de l’ARS, accompagner les maires dans leurs projets d’aménagement du territoire…) ont ainsi trouvé très directement des « correspondants » dans les services, en rendant plus lisible l’organisation, de fait mise au service du projet politique.
Dès le printemps, j’ai pu (enfin !) m’appuyer sur les relais précieux que constituent les directeurs généraux adjoints, que j’avais embarqués dans la démarche. Les réunions de cadres (DGS, DGA, directeurs, directeurs adjoints) que je fais régulièrement, me permettent de mesurer le niveau de compréhension ou les réticences que suscite cette nouvelle organisation.
Quatre mois plus tard, donc, les secrétariats généraux commencent à produire leurs effets. Un exemple très symptomatique : nous n’avions pas d’idée précise du nombre d’ETP recrutés sur emplois non permanents (renforts temporaires, saisonniers, remplacements, compensation de temps partiel…). A fortiori, les DGA et les directeurs n’avaient aucun moyen de piloter les demandes des services, qui arrivaient donc à la DRH « au fil de l’eau ». Dès cette année, et après un gros travail fourni par les équipes, nous avons pu allouer une « enveloppe » de CDD sur emplois non permanents à chaque DGA. Charge à lui, avec le secrétariat général et bien sûr dans un dialogue de gestion soutenu avec les directeurs et chefs de service, d’identifier les besoins les plus essentiels.
Quel a été votre rôle et vos responsabilités ?
Comme indiqué plus haut, la conception des changements à apporter aux services du Département incombe totalement à la DGS. J’ai, dès le mois de décembre 2021, proposé au Président et à la vice-présidente en charge des RH la maquette de l’organigramme que je souhaitais mettre en place, et surtout, les raisons qui justifiaient ce choix. Les deux m’ont suivies, ce qui a permis de tenir un calendrier assez serré. La VP aux RH a beaucoup œuvré pour apaiser ce qui aurait pu devenir des crispations avec les organisations syndicales.
Dans le contexte assez mouvementé du 2nd semestre 2021, comme je l’ai dit marqué par une alternance politique, un renouvellement important de la direction générale et des cadres, un projet politique nouveau à mettre en musique, mon rôle a été de rassurer, sous une forme qu’on pourrait qualifier de paradoxale : rassurer les agents sur la permanence de leur action, de leurs conditions de travail, du sens qu’ils donnent au service public départemental ; mais aussi rassurer les élus sur le fait que le début de mandat serait bien également marqué par des changements (les « marqueurs » politiques) et provoquerait une nouvelle dynamique pour la collectivité. Je me suis donc employée aux deux tâches, avec autant de pédagogie que possible.
Quels enseignements en tirez-vous ?
Je retiens de ces dix premiers mois plusieurs enseignements. Le premier, banal, mais dont j’ai pu éprouver la parfaite acuité : on n’a jamais raison tout seul.
Quelles que soient la logique de votre raisonnement, la pertinence de vos propositions, la pugnacité avec laquelle vous défendez vos choix, si le collectif (les services, voire l’exécutif) n’est pas « embarqué » dans le projet et capable de se l’approprier, la volonté de changement reste lettre morte, au mieux, caduque avant d’avoir été déployée, au pire, imposé autoritairement, c’est-à-dire vouée à l’échec. C’est une condition sine qua non que de trouver les bons vecteurs de communication, d’explication, mais surtout d’écoute.
Le deuxième enseignement : on dit le service public, parfois, particulièrement les Départements, rétifs aux changements, à l’évolution des pratiques professionnelles et de management qui suppose une remise en question de ses habitudes. Or, j’ai trouvé, globalement, des collaborateurs ouverts à cette démarche. Je prévois d’ailleurs, pour le dernier trimestre 2022, au plus tard début 23, un séminaire de cadres, pour faire le point sur cette première année et surtout, construire ce que nous voulons faire de notre administration. Le Département a besoin de moderniser certaines pratiques, de se doter d’une véritable GED et de poser les bases d’une culture de l’évaluation : naturellement, c’est avec ce collectif de managers que ce projet pourra voir le jour.
Conseil de lecture de l’invité : Quel le livre fait référence pour vous dans le domaine du management ?
Il ne s’agit pas à proprement parler d’un ouvrage sur le management. Mais je garde en tête le bonheur de lecture d’Homo juridicus, d’Alain Supiot. Le rapport qu’entretient chaque individu à la norme, les liens qui se créent, au sein d’un collectif de travail, entre les femmes et les hommes, et qui ne doivent ni au hasard ni à une quelconque spontanéité, mais sont tout entiers une construction juridique et contractuelle, m’a beaucoup éclairée sur la relation au travail et les relations de travail. Je ne peux qu’en conseiller la lecture à tous les managers !