Loin d’être cantonné à la gestion du social, le Département a un rôle éminent à jouer dans la définition de stratégies territoriales. Fondée sur une analyse prospective, cette démarche renvoie à la capacité de se penser comme assemblier d’un développement durable spatialisé. La France bénéficie d’une longue tradition de prospective, « d’étude des futurs », selon la traduction anglaise du terme (2).
Il s’agit de se projeter dans les avenirs possibles, à une échelle donnée, de manière structurée, réfutable, empruntant ainsi à l’approche scientifique sans pour autant nier l’art de détecter les signaux faibles de l’évolution sociétale et d’en jouer. Souvent réduits à l’aide et à l’action sociale, les départements ont cependant un vaste champ de compétences qui permet de penser le futur de leurs territoires en profitant d’une échelle d’entre-deux, ni trop loin du terrain comme la plupart des régions, ni trop « dans le guidon » de l’intercommunalité de gestion. Rares sont ceux qui se lancent dans l’aventure et donnent sens à la somme des activités du quotidien. A ce titre, l’expérience menée en 2012, par le département 41, « Loir-et-Cher 2020 » mérite d’être signalée en complément du dernier dossier spécial du JdD consacré à ce territoire entre Beauce et Sologne.
Au-delà du cas d’espèce, force est de constater que la période se prête à l’invention des futurs pour les départements de France. Les grandes transitions – démographique, écologique et numérique – auxquelles l’Europe est confrontée ainsi que la sortie de crise sanitaire rebattent les cartes. L’espace-temps du télétravail et des loisirs de proximité redonne vie à la diversité de la France, au-delà des métropoles au foncier devenu inabordable pour les familles. Alors que les régions et intercommunalités sont engluées dans l’établissement de schéma réputés stratégiques (ex. SRADDET, SCOT) mais en fait corsetés par des exigences réglementaires qui diluent la réflexion, les départements peuvent articuler de leur propre chef leurs compétences tant en matière sociale, environnementale, culturelle, touristique, d’attractivité et de fait économique. Les départements n’ont pas d’obligation stratégique.
Ils en sont libres. L’analyse prospective entre ici en scène. Sur la base des ambitions départementales mais également de l’analyse des stratégies des autres acteurs et des incertitudes entourant la réalisation des projets de chacun, les champs des possibles se dessinent. Aux départements de savoir lire les directions prises par l’Europe, l’Etat et les régions. Aux départements d’orienter le bloc communal en valorisant ses expertises dont il manque beaucoup et pas seulement dans l’espace rural (cf. enjeu des mobilités pendulaires à l’échelle des zones d’emploi).
Aux départements enfin de savoir jouer collectif : face à la complexité de l’action publique locale, en particulier sur les plans juridique et technique, mutualiser ses forces avec des départements voisins et éviter les doublons coûteux participe de la maturation d’un fait départemental devenu sûr de lui-même et donc ouvert aux autres.
(1) Haut fonctionnaire des finances et du développement durable, professeur associé à Paris 1 – Panthéon-Sorbonne (HDR), conseiller scientifique de Futuribles International.
(2) Robin Degron, « La prospective, à quoi ça sert ? », Revue Politique et Parlementaire, numéro spécial « Se réinventer après la crise », pp. 11-17, n°1101, octobre-décembre 2021.