Le retour d’un « conseiller territorial » dans le paysage politique n’a pas fini d’interroger sur les véritables intentions de l’Exécutif et les capacités du Législatif à le suivre. Outre une symbolique sarkozyenne qui, pour certains, donnerait l’impression d’une entente cordiale momentanée pour séduire les rares fidèles de l’ancien Président encore compatibles avec la majorité présidentielle, la manœuvre n’en demeure pas moins hasardeuse sur le plan politique. Les réformes électorales réservent toujours des surprises : « gauche » et « droite », alternativement en ont fait l’expérience autrefois pour les élections municipales, régionales ou départementales sans oublier les « législatives ». Depuis le rapport Balladur de 2009, la « simplification des structures » de la démocratie représentative locale hante la classe politique : les uns souhaitant toujours réduire le fameux « millefeuille », d’autres préconisant une pluralité de représentativité dans les territoires exprimant les sensibilités les plus proches des citoyens. Les premiers ont raison…Mais les seconds aussi !Sauf que nous sommes arrivés à un point de visibilité qui ne convainc pas, voire à une complexité non pas technique mais de compréhension, pour les électeurs, de la distribution des compétences et de l’utilité des assemblées locales et de leur composition. Il y a donc urgence devant l’enjeu d’un mauvais sort qui s’abat sur les instances régionales et départementales et que les élections de juin 2021 ont illustré par une non-participation électorale massive ; c’est ce que le rapport de la mission d’information visant à identifier les ressorts de l’abstention et le député Stéphane Travert mettait en évidence. En 2010, la loi votée mettait un terme à l’existence du scrutin régional proportionnel (et son apport paritaire récent) ce qui avait été la grande ambition démocratique et réalisation des années 80 avec les premières lois de décentralisation ; le conseiller territorial était tout simplement un conseiller général élu au scrutin majoritaire qui devait siéger aussi au conseil régional et disparaissait donc à la fois la parité et l’élection des conseils régionaux au suffrage universel direct ! Le Président de la République, le 17 mars dernier, lors d’une conférence de presse, relance l’idée et l’introduit dans ses propositions de programme présidentiel, il s’en remet à un constat maintes fois soutenu : le manque de proximité des élus régionaux. C’est vrai lorsqu’on observe la composition des conseils : les premier(e)s des listes politiques investis puis élus dans les sections départementales ont très souvent la fâcheuse particularité d’être concentrés au cœur des chefs-lieux des départements, si bien qu’aux marches des régions, il y a peu de représentation élective régionale et pire lorsqu’on retient les régions enclavées voisines puisque se dessinent de vastes espaces (parfois de 150 à 200 km) sans élus régionaux ! La loi ayant créé le scrutin majoritaire binominal pour l’élection des conseillers départementaux permet aujourd’hui de s’assurer d’assemblées départementales paritaires et donc, si le conseiller territorial modèle 2010 devait réapparaître, affirmer, de fait, que les assemblées régionales le seraient également. Lorsque Philippe Vigier dépose sa proposition de résolution, en janvier 2022 pour la création du conseiller territorial, le député insiste sur les spécificités de chacune des collectivités « qui ne seraient pas remises en cause. Au contraire, les deux assemblées verraient leur travail mieux coordonné, rendant le processus de décision plus rationnel et efficace. De plus, le rôle des élus s’en trouverait renforcé du fait de l’extension de leurs missions et de leurs responsabilités »Mais la mise en œuvre n’est pas aussi simple. Le 3 février 2022, la ministre Marlène Schiappa répondait à Philippe Vigier : « le retour du conseiller territorial tel qu’il fut envisagé en 2010 soulève de nombreuses questions. Si celui-ci peut sans doute être le point de départ d’une réflexion commune, il sera difficilement un point d’aboutissement du moins dans sa version adoptée en 2010 » A la recherche du « mode de scrutin cohérent », la ministre rappelait la nécessité de stabilité nécessaire et que dans l’éventualité d’un nouveau redécoupage des cantons pour satisfaire une carte régionale de proximité, « le mode d’élection ne garantit, par ailleurs, pas nécessairement la constitution de majorité aussi certaines que dans le cadre du scrutin régional actuellement en vigueur » ‘La question de la stabilité des majorités serait également susceptible de se poser en cas d’application d’un scrutin de liste sur le modèle régional actuel. Ce mode de scrutin permettrait, certes, de dégager des majorités claires à l’échelle régionale, grâce à la prime majoritaire attribuée à la liste arrivée en tête. Cependant la répartition des sièges par sections départementales risquerait de ne pas donner la majorité dans un conseil départemental, à la liste arrivée en tête dans ce département, ce qui serait difficilement intelligible pour les électeurs. Telles sont les questions que le Gouvernement se pose. » C’était en février…Mais le 17 mars, le document « Emmanuel Macron avec vous » pour la conférence de presse du Président/candidat était sans ambiguïté : « Les Français ne s’identifient ni à leurs élus régionaux, ni à leurs élus départementaux, ce qui les décourage à aller voter. Nous souhaitons renforcer la coopération entre les différents échelons territoriaux par la création du conseiller territorial qui siégera à la fois au conseil régional et au conseil départemental. C’est le choix de la proximité : ils seront désignés dans chaque canton au scrutin majoritaire, qui est un gage de proximité et permet un lien direct entre le citoyen et l’élu. C’est le choix de l’efficacité : régions et départements devront travailler main dans la main et pourront plus facilement se répartir les compétences. » Cette réforme qui doit s’appliquer dès le prochain renouvellement des assemblées départementales et régionales pour 2028 nécessite des précisions sur les modalités de scrutin et l’obligation législative d’un tableau annexe fixant le nombre des conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région. Et pour le coup, ce sont bien les partis politiques qui vont être sur une ligne de front dans ce projet car depuis cent cinquante ans, pour les départements, et trente-six ans pour les régions, leur audience repose aussi sur le nombre de collectivités qu’ils détiennent ! Et que depuis les premières élections régionales de 1986 au scrutin proportionnel de liste, le renouvellement générationnel de la classe politique, commençait bien par la présence des « jeunes pousses » qui tentaient de se faire élire dans les conseils régionaux… Tout ne peut relever du scrutin majoritaire et si les régions et départements y sont contraints demain, alors, il devient impératif que l’Assemblée nationale soit élue désormais au scrutin proportionnel, que le scrutin municipal actuel soit préservé, que les présidents d’intercommunalités soient élus au suffrage universel direct. Du travail pour la fameuse Conférence transpartisane !
Retour d’un « conseiller territorial » ?
Denys Pouillard Directeur de l’Observatoire de la vie politique et parlementaire, Professeur de science politique.
Il est évident que ces modalités « seront arrêtées après une large concertation avec les collectivités concernées », sans doute même dans le cadre de la Conférence transpartisane.
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