Dans un Livre blanc consacré à l’action publique durable, le Cercle des acteurs territoriaux (1), fondé par Hugues Perinel, s’interroge notamment sur l’attractivité de la fonction publique, de ses déficits en la matière et envisage des pistes .
Largement entretenue par des think tank qui en ont fait leur fonds de commerce, l’idée circule que le service public et ceux qu’il emploie seraient une charge
face à un secteur privé, seul véritable créateur de richesses et d’emplois, voire même un frein à son développement. Reconnaissons qu’avec son incapacité à communiquer sur lui-même, le service public a participé à la circulation de cette idée en se laissant petit à petit reléguer à un ensemble d’acquis, comme une toile de fond familière.
Un paradoxe quand on lit dans la presse les « marronniers » du classement des hôpitaux, des lycées, des villes, etc., qui montrent bien que les services publics ont une valeur d’attractivité, de compétitivité.
Un paradoxe, à la lecture de nombreux articles dont une récente tribune d’un collectif de 400 citoyens « Les services publics sont notre avenir, leur réinvention est primordiale » ou celui de Dominique Méda « Secteur privé et administrations publiques contribuent tous deux à la création de richesse nationale ».(2) Que deviendraient en effet les acteurs économiques sans l’aide, l’intervention ou la contribution de la puissance publique ? Qui construirait les routes, les écoles, les équipements et, à quel prix ? Et peut-être, richesse inestimable qui mobiliserait des acteurs qui, sans lui, ne se parleraient pas ? Mais si le service public crée de la valeur, il sait très rarement la mesurer et encore moins communiquer sur elle.
La pédagogie au service de l’attractivité de la fonction publique
· Tout est question de pédagogie et cela devrait commencer par une volonté affichée de replacer le débat à sa juste place, c’est-à-dire passer de la question binaire du « trop de fonctionnaires » à celle de « quel service public pour quelle société »? En d’autres termes redonner du sens à l’action publique et la rendre ainsi attractive pour les jeunes générations.
· Tout est question de pédagogie, cela veut dire répondre à ceux qui, utilisant une image éculée et datée du fonctionnaire, la rendent suffisamment abstraite pour rencontrer l’adhésion la plus large autour d’un discours à charge et clivant. Mais répondre ne veut pas dire être sur la défensive, comme trop souvent. C’est au contraire mettre en avant l’immense variété de métiers existant dans le service public et les voies pour y accéder, et le faire dans une langue accessible à tous, en d’autres termes, donner envie ! Le récit de la fonction publique serait bien plus clair s’il traitait des métiers plutôt que des grades, ce serait également l’occasion de consolider les collectifs et de redonner du sens à ces métiers.
· Tout est question de pédagogie, c’est communiquer sans complexe, proposer par exemple une journée sans services publics sur un territoire et analyser les conséquences sur les acteurs économiques et privés. C’est aussi rendre visible ce qui ne l’est pas, comme le partage, la préservation et l’entretien par le service public de la richesse créée : préservation de l’espace public, préservation du capital humain… Une mission qui concourt davantage à la recherche d’une efficacité sociale qu’à l’atteinte d’une performance économique, et par essence difficilement mesurable !
· Tout est question de pédagogie, à l’égard des élus. Encore trop peu d’entre eux s’investissent dans les ressources humaines de leurs organisations, portent un véritable discours sur le service public, sur la noblesse de la fonction publique et (re)donnent de la fierté à ceux qui en font partie et à d’autres l’envie de la rejoindre. Nous avons le devoir, avec eux, de répondre à cette absence complète de conscience des effets produits par le pilonnage du service public et la dévalorisation des acteurs publics. Il s’agit là d’une énorme source de frustration pour les personnels, surtout à une époque où les leviers de reconnaissance se raréfient. Témoignons le plus souvent possible aux agents de leur création de valeur.
Balayer devant notre porte
Beaucoup d’entre nous, à des postes où la gestion de la complexité est une réalité quotidienne ont, grâce à leur expérience, à des lectures, des formations ou un accompagnement appris qu’il faut savoir discerner ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas. Appliquons ce discernement en nous attachant moins à disserter sur la nature du service public, qu’à intervenir sur la manière dont nous l’exerçons. Appliquons également ce discernement tels des ambassadeurs du service public, et plutôt que de nous focaliser sur un sujet certes fondamental mais sur lequel nous n’avons pas la main, comme la question du point d’indice et globalement de la rémunération, tentons d’actionner d’autres leviers.
Les pistes sont nombreuses et le récent « Rapport sur l’attractivité de la fonction publique territoriale » comme le dernier « Panorama des métiers territoriaux »(3) ainsi que les propositions de FP21 et La Cordée(4) en fourmillent. Quelques réactions à leur lecture :
· Nous avons la liberté et le devoir de travailler sur le management de nos équipes, l’allocation de nos ressources, et notre efficience. Plutôt que de nous enfermer dans des procédures sans nous poser la question de leur pertinence, de ce qu’elles peuvent apporter au bien-être collectif, l’objectif de la création de richesse, sujet encore tabou, devrait être le souci constant des managers. La question est de savoir comment, dans un secteur non-marchand, contribuer à la création de richesses. Rassembler ses équipes, leur montrer où elles sont créatrices de richesse, leur expliquer à quoi elles servent, écouter leurs observations, leur donner la possibilité d’expérimenter certaines de leurs propositions, sont autant de moyens de redonner du sens à leur travail et de donner envie à de nouveaux talents de les rejoindre.
· Nous devons sortir de la logique « l’adminis- tration n’est là que pour appliquer les décisions ». Et nous savons que ce rôle convient à certains. Ce qui fait la valeur ajoutée de l’administration, d’une direction générale et de ses services, c’est la capacité de montrer un « autrement » à celles et ceux qui prennent in fine les décisions, qui après leur appartient. Et cela peut aller jusqu’à inciter les élus, notamment dans des plus petites collectivités à se former, notamment au management.
· Nous devrions rendre plus intelligibles nos organisations et leur mode de fonctionnement. Le débat ne porte pas sur la nature du service public. Qui sait, à la différence de la plupart des entreprises privées, que nous rassemblons plus de 200 métiers qui doivent répondre à plusieurs logiques, politique, économique, sociale, environnementale ? Qui comprend notre processus décisionnel matriciel avec des élus d’un côté et une administration de l’autre contre un processus beaucoup plus direct et laissant plus de place à l’initiative dans le privé ?
Il en résulte le plus souvent une totale incompréhension de ce fonctionnement qui paraît inefficace et une confusion entre le manque de spécialisation et le manque de compétence. Il nous faut assumer ces différences, les remettre à leur juste valeur et communiquer sur elles.
· Terminons par un focus sur les voies d’accès qui doivent être revisitées :
> Le temps du recrutement, parfois des mois entre l’identification du besoin et la rencontre avec un candidat, comment s’étonner qu’il ait rejoint un employeur plus réactif ?
> La qualité de l’accueil de jeunes collègues dans nos collectivités qui crée parfois de terribles déceptions. Sur tous ces sujets, nous avons la main… en nous rappelant cette maxime, « les jeunes ne sont pas nous en moins vieux ».
Et pour conclure sur notre propre récit, observons que la plupart des héros de nombreuses séries télévisées, policiers, médecins, pompiers, infirmiers, magistrats… sont des acteurs publics.
(1) https://www.lecercledesacteursterritoriaux.fr/
(2) Publiés le 15 janvier 2022 et le le 14 février 2022 sur lemonde.fr
(3) A lire impérativement
https://www.transformation.gouv.fr/files/ressource/rapport_attractivit%C3%A9_ fonction_publique_territoriale.pdf https://www.cnfpt.fr/s-informer/nos-actualites/le-fil-dactus/panorama-me- tiers-territoriaux-2017-2019/national
Dans le club Finances de la Gazette des communes , les collectivités contribuent pour 6 % à la création de richesse nationale . https://www.lagazettedescommunes com/790999les-collectivites-contribuent-pour-6-a-la-creation-de-richesse- nationale/
(4) https://fp21.fr/ https://www.la-cordee.org/
Hugues Perinel
Cet article est le résultat du travail collectif des membres du Cercle des Acteurs Territoriaux https://www.lecercledesacteursterritoriaux.fr/les-membres