Rencontre avec : Jean-Noël Barrot ministre en charge du numérique
Quels sont vos chantiers prioritaires pour cette rentrée 2022 ?
Le numérique doit être une opportunité pour tous les Français ! En cinq ans, sous l’impulsion du Président de la République, la France est devenue une grande nation du numérique. Si nous avons créé des champions, il faut désormais consolider des leaders dans un développement numérique qui doit être responsable et inclusif, tout en préservant notre souveraineté.
Avec Bruno Le Maire, nous avons trois grands objectifs :
1. Soutenir le développement de l’écosystème d’innovation. Cela passe notamment par la création d’entreprises innovantes partout sur le territoire. Nous recensions 3 licornes en 2017, nous sommes aujourd’hui à 27 et avons un objectif de 100 licornes en 2030, dont 25 dans la GreenTech. Par ailleurs, l’innovation n’est pas l’apanage de la région parisienne puisque 50% des start-up sont créées en dehors de Paris.
2. Réguler l’espace numérique. Il faut que la démocratie s’empare de l’espace numérique. Sous Présidence française, l’Union européenne a pris des décisions très fortes pour remettre une saine concurrence dans l’espace numérique et défendre notre souveraineté face aux géants américains qui s’octroient des positions de monopole. C’est le sens du DMA et du DSA qui sont deux textes des plus importants depuis le début du 20ème siècle. Il nous faut accroitre la responsabilité de ces plateformes (réseaux sociaux, moteurs de recherche) quant aux contenus pour endiguer la prolifération de la haine, de la violence et des arnaques dans l’espace numérique. La mobilisation est forte pour limiter au maximum ces dérives.
De plus, dans le cadre de France 2030, pour faire du numérique un espace sécurisé, l’Etat consacre 1 milliard d’euros à la stratégie d’accélération cyber. Ces moyens permettent, notamment, d’accompagner les parcours de sécurisation des systèmes informatiques et le développement de la formation.
3. Faire en sorte que le numérique bénéficie à tous ! Aujourd’hui, 13 millions de Français rencontrent des difficultés dans l’usage du numérique. Il est essentiel pour nous de réduire cette fracture. Quand on regarde les entreprises, il y a là aussi un effort à mener pour rattraper l’avance prise dans d’autres pays pour éviter que nos PME, TPE, artisans et commerçants soient fragilisés. Enfin, il nous faut former plus de collaborateurs aux métiers du numérique. L’éducation au numérique commence le plus tôt possible avec l’ambition de faire du code une nouvelle langue vivante dès la 5ème.
Comment souhaitez-vous procéder pour rendre le numérique plus inclusif dans les territoires ?
Le numérique est un levier puissant de développement et de rayonnement pour tous les territoires qui comptent désormais parmi les mieux connectés d’Europe. Cela se traduit par deux initiatives : le plan France Très Haut Débit qui positionne la France comme le pays le mieux fibré d’Europe, et le New Deal mobile qui a mis fin à un grand nombre de zones blanches. Ces deux succès sont le fruit d’une collaboration fructueuse entre l’Etat, les collectivités territoriales et les opérateurs de télécommunications. Il nous faut maintenant parachever la couverture et assurer la qualité des réseaux.
Nous continuons également à développer les services. Cela concerne nos concitoyens comme nos collectivités qui bénéficient, grâce au numérique, d’une maitrise renforcée sur leurs infrastructures avec une meilleure gestion de l’eau, de la qualité de l’air, de la mobilité. Ils dessinent ainsi des territoires intelligents, connectés et durables. Le numérique a aussi un potentiel important pour minimiser leur empreinte carbone et aider à faire des économies d’énergie, ce qui est particulièrement important en ce moment. Nous devons le mobiliser partout. Il contribue à faciliter l’accès aux services pour tous et est l’un des facteurs de la résorption des fractures territoriales.
Enfin, ma conviction est que la transition numérique n’est possible qu’avec un accompagnement humain. Nous devons créer ou pérenniser les dispositifs pour que nos citoyens se saisissent pleinement de ces outils..
En 2021, Jacqueline Gourault et Cédric O ont initié cette démarche avec la création de 4.000 conseillers numériques. Ils sont repartis sur l’ensemble du territoire et 40% d’entre eux opèrent dans les territoires ruraux et les quartiers prioritaires. Ils ont déjà permis d’aider 650.000 Français dans l’accès aux services numériques (services publics et démarches essentielles du quotidien). La Première ministre a annoncé, cet été, la pérennisation de ce dispositif en y consacrant une enveloppe de 44 millions d’euros. J’aurai à cœur de faire continuer à faire connaître et à développer ce programme.
Comment inciter les communes à se doter d’un DPO ?
Collectivement, que l’on soit dans une administration, une entreprise, une collectivité ou une association, il est désormais impératif d’être vigilant dans la manière dont nous protégeons les données.
Le RGPD, parce qu’il a imposé des contraintes fortes, est une réglementation remarquée dans le monde entier sur son niveau de protection.
De nombreux dispositifs existent pour accompagner les acteurs, qu’ils soient publics ou privés, dans leur démarche de mise en conformité avec le RGPD (MOOC RGPD pour l’ensemble des acteurs, guide de sensibilisation des collectivités au RPGD, guide destiné à accompagner les organismes (dont les collectivités) dans la mise en place de la fonction de DPO publié en avril 2022.
La mutualisation est une solution particulièrement adaptée pour les plus petites collectivités territoriales. Elle leur permet en effet de diminuer les coûts financiers associés à la fonction, tout en bénéficiant des services de professionnels disposant de compétences Informatique et Libertés, de la connaissance des problématiques propres au secteur public local et de la disponibilité nécessaire à un exercice efficace des missions
La multiplication des réglementations numériques – notamment au niveau européen, indispensables pour construire un marché numérique unifié et rééquilibrer le rapport de force vis-à-vis des acteurs géants aux tentations monopolistiques -, ne doit cependant pas constituer un poids pour nos entreprises et nos services publics. Je veillerai donc à ce que les législations en cours de négociations à Bruxelles soient le plus favorable à l’innovation et moins oublieuse des intérêts des plus petits acteurs.
Prochainement, dans le cadre de la stratégie d’accélération sur le Cloud de France 2030, nous lancerons un appel à projet sur la création d’espaces de données mutualisés. Ils permettront à tous les acteurs, publics comme privés, de pouvoir mutualiser leurs données aussi bien en termes logiciel que de gouvernance et dans un cadre interopérable.
Comment entendez-vous combiner transition écologique et développement du numérique ?
Le progrès technologique permet de réaliser une première étape dans la transition écologique de notre secteur. Dans les télécoms, la fibre est trois fois moins énergivore que le cuivre, et la 5G dans les zones très denses le sera 10 fois que la 4G. Cependant, il faut aussi savoir regarder les postes qui ont le plus d’impact sur l’environnement. 80% de l’empreinte carbone du numérique est aujourd’hui liée aux terminaux mobiles pour lequel nous devons, par exemple, renforcer les filières de reconditionnement.
De plus, suite à l’appel à la sobriété énergétique lancé par la Première ministre, j’ai réuni, fin juillet, l’ensemble des acteurs des télécommunications et du numérique à participer à un groupe de travail. L’objectif porte sur l’identification de mesures répondant à l’urgence de l’hiver et, à plus long terme, de baisser durablement la consommation énergétique du secteur. A l’issue de cette première réunion, des engagements ont été pris notamment sur la régulation de la température et la luminosité des locaux qu’ils occupent. Nous voulons aller plus loin.
Le numérique peut, en effet, être un levier puissant pour la transition écologique des autres secteurs de l’économie. En effet, par les services qu’elles développent, les entreprises du numérique aident dans la gestion de la consommation d’énergie ou d’eau. Notre vocation est aussi de mieux faire les connaître à l’ensemble des acteurs.
Comment allez-vous accompagner les TPE dans la transition numérique ?
Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, car on s’aperçoit que si la France est en avance sur les autres pays européens, notamment sur la couverture en télécom, nous sommes plutôt à la traine sur le volet de la numérisation des petites entreprises.
Le gouvernement a mené plusieurs actions pour accompagner la numérisation des entreprises, en particulier les plus petites. Durant la crise sanitaire, avec le chèque de 500€ pour la numérisation et dont 110.000 entreprises ont pu bénéficier.
Un programme mené par FranceNum, avec les Chambres de commerces, permet de sensibiliser les PME et TPE à la question du numérique et leur offre un accompagnement personnalisé.
De plus, fin 2021, BPI France a lancé un produit, « la garantie de prêt FranceNum ». Il est destiné aux PME et aux TPE pour leur passage au numérique. Le montant maximum de prêt est de 50.000 euros avec un taux de garantie de 80%.
Nous échangeons avec Oliva Grégoire, Ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, pour identifier tous les leviers possibles pour accélérer cette transition indispensable pour assurer la survie de nos entreprises face à une concurrence rude (en particulier avec les GAFAM).
Comment avez-vous accueilli votre nomination ?
Avec humilité. Je suis très honoré de me voir confier un certain nombre d’engagements pris par le Président de la République ; et je suis déterminé à consacrer toute mon énergie et tout mon cœur à le faire.
J’ai commencé ma carrière professionnelle dans le milieu universitaire en évaluant les politiques publiques, notamment celles touchant aux entreprises. Ma filiation politique est celle du courant démocrate, et dans la continuité de mon grand-père et de mon père. Ces valeurs m’ont amené à rejoindre le MoDem de François Bayrou puis à m’engager avec lui, en 2017, aux côtés d’Emmanuel Macron. En 2017, j’ai été élu député des Yvelines, et j’ai pu participer activement à la mise en œuvre des réformes portées par Emmanuel Macron.
D’un rôle d’évaluateur des politiques publiques, je suis alors passé dans celui du législateur. Désormais, je souhaite veiller à leur exécution au sein du Gouvernement.