La question de l’instauration du conseiller territorial, épousant à la fois la dimension départementale et régionale, ne saurait être posée de manière dissociée de l’environnement institutionnel dans lequel elle s’inscrit. En effet, il ne s’agit pas seulement de « fusionner » un mandat, d’ériger une nouvelle figure d’élu, mais aussi de savoir quelles seraient ses compétences et sa légitimité électorale, et plus encore de s’inscrire dans un mouvement. Celui de la décentralisation politique de notre pays, d’une véritable simplification et de la différenciation territoriale, avec des collectivités dotées de ressources propres et pérennes. Le Département est ancré dans notre histoire, il reste un lieu d’identification sinon d’identité. Il constitue un « commun » plus que bicentenaire. Sa géographie peut être interrogée parfois, le fantasme de la carte d’une France à 50 départements au lendemain de la seconde guerre mondiale aurait pu changer le cours de l’aménagement de notre territoire. Aujourd’hui, ce n’est plus l’heure de redécouper encore, sauf quelques situations particulières qui pourront ou devront être traitées et clarifiées en Ile-de-France, en Alsace, dans le Rhône… Les fusions volontaires et choisies là comme ailleurs peuvent être examinées, mais le choix des grandes Régions, discutables à bien des égards, constitue désormais notre nouveau cadre de référence. Si celui-ci est éloigné, il peut être efficace pour conduire certaines politiques publiques stratégiques, à condition que l’Etat accepte d’en donner les moyens et de se recentrer sur le régalien. En revanche, et c’est mon premier jalon, le cadre régional ne peut en aucun cas être la circonscription électorale de futurs conseillers territoriaux, elle ne l’est d’ailleurs que très partiellement aujourd’hui pour les conseillers régionaux. La question des compétences est aussi essentielle. Le niveau local pourrait ainsi s’appuyer sur un couple Département / Région, en complément du bloc communal, avec une véritable compétence exclusive par niveau, y compris avec l’Etat qui ne doit plus intervenir dans les domaines transférés, seule la commune gardant la clause de compétence générale. Le Département, comme je l’ai déjà proposé, est ainsi centré sur les grands thèmes de la « bonne proximité »: Social, Médico-social,Collèges, Réseaux (routes, électricité, eau, fibre…), Aménagement du territoire. La Région l’étant pour sa part sur celui de la projection, de la préparation de l’avenir : Economie, Emploi, Mobilité, Environnement, Lycées, Formation professionnelle, Santé et Education pour partie. Si on ne peut imaginer l’instauration du Conseiller territorial sans une clarification des compétences, c’est mon deuxième jalon, on ne peut pas non plus l’envisager sans s’interroger sur le mode de scrutin. Aujourd’hui, il en existe deux : le scrutin majoritaire binominal à l’échelle du canton pour le conseiller départemental, et le scrutin de liste proportionnel avec prime majoritaire à deux tours avec une liste régionale et des sections départementales. Ces deux scrutins présentent des limites. Pour le scrutin départemental il s’agit pour l’essentiel du cadre cantonal et de sa signification en particulier en milieu urbain, pour le scrutin régional il s’agit pour l’essentiel d’une identification limitée des élus régionaux et de leur ancrage de proximité. Les deux scrutins assurent une stricte parité. Celle-ci ne saurait reculer pour des raisons constitutionnelles. Le contexte actuel des grandes régions n’est plus celui de 2011 qui prévoyait alors un nombre réduit de conseillers généraux, tous devant siéger à la Région, avec un vrai risque alors de disparition du Département. Cela n’est plus concevable aujourd’hui sauf à avoir des assemblées régionales encore plus pléthoriques ou des assemblées départementales réduites à peau de chagrin. Si bien qu’il semble que le système le plus judicieux pour l’instauration du conseiller territorial soit celui du fléchage pour ne pas accroître le nombre d’élus siégeant à la Région et garantir la représentation de tous les territoires. La question est alors de savoir dans quel sens celui-ci doit s’opérer. Il m’apparait clairement, et c’est mon troisième jalon, que cela ne peut se faire que du niveau départemental vers le niveau régional sur le modèle du bloc communal, mais en garantissant l’élection directe des conseillers territoriaux siégeant dans les deux assemblées de chaque section départementale. Cela signifierait que les élus territoriaux seraient de deux natures, certains ne siégeant qu’au Département, d’autres siégeant dans les deux Assemblées. Cette complexité est-elle un frein constitutionnel à son instauration ? La question doit être creusée, mais hors de ce cadre je ne vois pas comment le conseiller territorial pourrait advenir. Cette méthode repose, c’est sa faiblesse car elle ferait perdre en proximité à l’élu territorial, sur un scrutin de liste départementale proportionnel avec prime majoritaire à deux tours qui permettrait d’élire par exemple, là où il y a aujourd’hui 30 conseillers départementaux et 10 conseillers régionaux, les 10 élus siégeant dans les deux assemblées et les 20 autres ne siégeant qu’au Département. Cela réduirait de fait de 1758 unités le nombre d’élus, tout en préservant une présence suffisante à l’échelle départementale pour assurer la représentation dans toutes les instances locales, des collèges aux EHPAD. Le grand intérêt de ce système lisible et efficace résiderait dans une cohérence d’action territoriale et une lisibilité d’action renforcées autour de compétences claires et uniques, d’élus investis à une double échelle ou dédiés à une seule, comme pour le bloc communal, du maintien du lien de proximité même revisité et de la préservation du cadre départemental, comme nous voulons préserver le cadre communal. La Région et l’Intercommunalité étant des niveaux de mutualisation choisie ou décidée par la loi au regard d’un enjeu clairement identifié. Ce système constituerait une réelle émancipation de notre niveau territorial piloté par des élus responsables et libres, pour instaurer une véritable république décentralisée, une représentativité accrue et une confiance démocratique de proximité, seules réponses à la fatigue démocratique inquiétante que nous connaissons. Départementalement vôtre.
Stéphane Sautarel